Le Petit Livre
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Dim 14 Oct - 13:31
Live at Emile's
Le bar qui faisait l'angle

Elle entra dans le bar. Une petite musique au piano était jouée par juke-box et le peu de personne présente rendaient l'atmosphère agréable. La télévision était allumée, mais elle était muette pour ne pas déranger les pèlerins venus ici pour réfléchir au sens de la vie, le regard plongé dans l'immensité de leur café. Une odeur épaisse et agréable de chocolat se mêlait à celle du parfum de la serveuse qui passa devant elle, si bien que l'établissement sembla alors être une belle bulle loin de la tempête de la vie. Les tables étaient faites de tissus tressés et chauffés encadrés par des lattes en bois. Les clients étaient assis sur des banquettes en cuir qui étaient aussi confortables que des nuages rouges. Une lampe campari bar était installée sur chacune des places et un grand lustre en cristal illuminait discrètement la pièce. Sa lumière rosée traversait les baies vitrées, poussée par une naturel sentiment de liberté, jusqu'à se déposer calmement sur le trottoir, à la façon d'un homme si heureux qu'il se serait arrêté sans raison pour s'asseoir sur le bord de la route et fumer tranquillement sa cigarette. Le bar était en bois de chêne. Verni et assombri, il projetait son regard timide vers les quelques tabourets noirs qui avaient accepté de lui tenir compagnie. Derrière lui, le barman tournait mécaniquement son chiffon dans un verre à whisky. Il portait un chapeau noir, encadré par les bras amoureux d'une banderole blanche. Une chemise à la blancheur irréprochable couvrait ses épaules et était ceinturée par un nœud papillon aux couleurs des ténèbres. Un gilet sans manche, de costume surplombait son haut pour lui assurer un style très cliché et très jazz. Un pantalon noir et des chaussures en cuir cirées à la perfection se cachaient de regards luxurieux derrière un tablier blanc. Celui-ci venait compléter ce portrait optimiste de l'être humain. Lorsqu'il ôta son chapeau pour saluer la jeune demoiselle, il donna liberté à sa chevelure blonde pendant quelques secondes à peine. Une mèche rouge, rebelle et pleine de vie avait alors tranché son petit nez, lui qui devait déjà supporter un bouton aussi rouge qu'une petite tomate cerise. Cet homme vérifiait de temps en temps, avec le regard inquiet d'un père de famille nombreuse, toutes les bouteilles d'alcools forts et d'autres boissons installées sur le présentoir comme des œuvres d'arts. Elles étaient de toutes formes, de toutes les couloirs et sans doute de tout les goûts. Une vitre les séparait du monde réel, mais elles pouvaient néanmoins si rattacher en regardant l'horloge noire et blanche au-dessus de l'étagère où elles étaient enfermées. Quatre lampes suspendues glissaient jusque devant le visage du barman et plongeait dans la clarté le bar et les verres lavés qui se reposaient dessus. Une pin-up américaine, peu souciant de sa tenue, était placardée à la porte des toilettes et usait de ses néons violets pour mettre sa patte sur le tableau réaliste du bar qui faisait l'angle. La serveuse faisait des aller-retours entre son coéquipier et ses clients. Elle aussi portait un chapeau, plus petit cette fois, blanc comme neige. Il était simplement maître de la petite colline au-dessus de sa tête. Elle avait de beaux yeux marrons, croquants comme des cacahuètes. Son teint blanc faisait contraste avec sa chemise rouge. Ses jambes étaient emballées dans un jolie collant transparent et sa jupe rubis cachait juste ce qu'il fallait pour attiser néanmoins la curiosité des hommes. Ses talons hauts, de quelques centimètres, la rendait lente et prudente, mais son jolie sourire l'excusait de tout et l'aurait excusé de tout.

La jeune demoiselle marcha jusqu'à un siège isolé et prit place. Jamais n'osa-t-elle appeler la serveuse. Elle posa délicatement sa tête contre la vitre et regarda passer les quelques voitures. Elle tira de son sac un petit ordinateur qu'elle posa sur la table. Elle l'alluma. La serveuse s'approcha d'elle et lui demanda d'une voix gracile ce qu'elle désirait. Un thé aux fruits rouges semblait lui convenir. Alors elle lui dit s'en occuper de ce pas et rapporta la commande au barman qui eut la bienheureuse surprise de devoir préparer autre chose qu'un cocktail. Elle retourna sur son ordinateur, ouvrant son navigateur de recherche et s'en allant dans un réseau social. Celui-ci l’emmena bien loin, très loin, lui montrant subrepticement les mystères de l'Atlantique avant de la déposer au Canada.
« Hey Hugues, comment tu vas ? »
« Je vais bien, je vais bien écoute. Et toi ? Comment se passent tes études ? »
« Pour être honnête...Je me sens seule. Je suis loin de vous. »
« Ouais je sais...Toi aussi tu nous manques. Mais tiens le coup tu verras. L'année prochaine, on se reverra. »
Elle hocha doucement la tête devant sa web-cam. Elle fut surprise par la serveuse qui lui déposa son thé ainsi que la note accroché à celui-ci. Elle la remercia avec un sourire honnête. Sa boisson renvoyait dans l'air une fumée transparente et une odeur exotique qui ne manqua pas d'inspirer le cœur de la cliente. Elle prit une grande inspiration, ne voulant rater pour rien au monde la moindre petite trace de parfum que sa consommation avait à lui offrir. Son interlocuteur ne disait rien, fixant à travers l’œil mécanique de sa caméra l'harmonie dans laquelle son amie se plongeait progressivement. Ils parlèrent un peu, quelques mots pour rafraîchir la collation qu'elle tenait entre ses mains frigorifiées, puis ils se séparèrent. La paix de l'âme qui l'avait envahie disparue si vite qu'elle se sentit obligée de boire pour être de nouveau bien. Cela agissait comme un médicament qui repoussait chaque fois une maladie qui ne pouvait être terrassée. Sa tasse avait beau être vide, elle ne trouvait pas la force de rentrer à son appartement. Elle fuyait la présence absurde et cruelle de la solitude et voir un établissement comme celui-ci vivre au rythme des battements des cœurs du couple qui s'en occupaient était une baume assez puissant pour soigner la plaie béante que son cœur portait. Encore plus bénéfique, le peu de clients nocturnes poussa le barman à sortir des douces mains de son bar pour venir s'installer, avec sa permission, aux côtés de la dernière personne présente dans l'établissement. Il avait laissé son tablier sur son lieu de confection, mais il emmenait toujours ce surplus de confiance qui le rendait définitivement attirant. Il lui posa pleins de questions auxquelles elle fut excitée de répondre. De plus près, il était plutôt jeune finalement, et la curiosité la poussa à lui demander pourquoi il s'était installé ici.

Émile était l’honorable gérant de cet établissement. Il avait 30ans et était originaire de Norvège. Là-bas, ses parents cultivaient la terre et faisaient de l'élevage, tout comme leurs parents avant eux. Il avait une sœur qui, à l'heure où il parlait, devait sans doute terminer ses études sur les lois. Il était venu ici poussé par des rêves et des idéaux loin de ce que pouvait lui promettre l'héritage culturel de sa famille. Il vivait ici à présent, suivant la fin ultime que tout homme cache dans son cœur : celle du bonheur. Au départ, il crut que c'était à travers l'argent qu'il trouverait ce trésor. Il avait enchaîné les petits boulots ingrats et les affaires financières d'une société. Il aurait pu devenir un trader très respecté,  mais il se découvrit une passion pour le métier de barman. A travers le prisme de la sociabilité, il décida d'emprunter cette voie. Il n'était au commencement qu'un garçon de table sous les ordres d'un patron plutôt sympathique en réalité. Ils avaient une relation très particulière, un peu comme un père et son fils. Ce fut tout naturel qu'il lui lègue l'endroit. L'endroit, disait-il, n'était plus si populaire qu'avant. La crise touchait tout le monde, et les particuliers en premiers. Il abandonna beaucoup de membres du personnel. Il ne garda que la plus jeune. Ève était à peine majeure, mais plus que cela elle était sa colocataire et une amie de longue date. Il n'avait que des compliments à son égard. Il ne manquait pas d'éloges sur sa bonne humeur, sa politesse et son sérieux. Il ne l'avait jamais vue faire tomber quelque chose, et cela n'était pas commun dans sa profession. Si l'erreur était humaine, alors Ève n'avait rien d'humain. Au fur et à mesure qu'il parlait, la nuit se faisait plus épaisse et la lumière colorée de l'établissement devenait bien utile lorsque les lampadaires s'épuisaient. L'heure était venu au bar qui faisait l'angle de fermer ses portes pour les rouvrir au prochain couché du soleil. La jeune demoiselle se jugea idiote de retenir le gérant aussi longtemps pour jouer la caricature d'un bon flic des séries télévisées. Elle ne s'était jamais doutée qu'au contraire sa voix réchauffait la poitrine frissonnante du barman. Il lui adressa un petit sourire et lui proposa de rester dormir. En plus de l'entreprise, il avait hérité de l'appartement à l'étage. Il l'utilisait principalement pour éviter aux alcooliques de rentrer, mais il pouvait tout aussi bien l'offrir à une demoiselle en manque de logement. Quel libération ce fut pour elle d'accepter une telle proposition. Il sortit les clés de sa poche, lui indiqua que celle en rouge lui ouvrirait la porte de sa chambre et s'occupa finalement de la fermeture. Ève ne restait pas ici. Elle était déjà vêtue d'un jean et d'une décolleté blanc. Elle fut polie, annonça son départ et tout les bonsoirs qu'il sous-entendait ainsi que le bisou tant important pour son supérieur. Elle disparut par la porte battante de l'entrée. Elle passa devant la baie vitrée, souleva le col de sa veste récupérée dans les loges, s'arrêta pour ouvrir son parapluie et reprit sa route sous la pluie gelée de l'hiver.

Les escaliers se trouvaient au fond du bar à côté de la femme faite de néons. Ils grimpaient à l'étage dans le mouvement mécanique d'un hélicoptère. Elle se tint à la rambarde tant la pièce était étroite. Elle réussit cependant à atteindre le couloir. Il était serré et plongé dans le noir. Malgré cela, elle pouvait distinguer les nombreuses chambres symétriquement installées à droite et à gauche. Elle apercevait vaguement une dernière pièce. Elle pensa naturellement que c'était là où Emile vivait. Le numéro de sa pièce était marqué sur le porte-clé qui gisait alors dans ses mains. Les murs supportaient une poignée de lampes qui s'étaient réparties de chaque côté des portes. L'interrupteur les réveilla toutes en même temps. Elles avaient toutes le teint bleu, mais certaines d'entre elles étaient plus radieuses que les autres. Elle évolua dans le couloir. Un sentiment de mélancolie s'appropria son esprit. Elle avait l'impression que chacun de ces murs étaient une personne et qu'ils avaient tous vu des choses merveilleuses. Une époque perdue s'était faufilée dans l'odeur exquise du chocolat et relevait son petit cœur en sucre avec des épices qu'elle n'avait jamais senti auparavant. Chaque petites ampoules, chaque murs et chaque traces avaient une histoire à raconter. Comme elle ne pouvait les entendre, ils avaient trouvé le moyen de l'atteindre à travers l'atmosphère sentimentale de l'endroit. C'était à la fois beau et triste, avec une justesse tellement parfaite qu'elle s'arrêta pour admirer cette sensation. Elle prit une grande et longue inspiration et le temps sembla cent fois plus long. Elle trouva et ouvrit sa porte. L'émotion était encore plus forte ici. Dès l'entrée, une penderie lui souhaitait la bienvenue, son profil déchiré par une cicatrice. Le meuble était habillé d'un ruban rouge qui partait du coin le plus éloignait et qui glissait sensuellement jusqu'au pied en-dessous. Il faisait face à un grand lit double qui portait honteusement sa robe de roses. Une odeur de la même nature s'y dégageait avec harmonie. Il était le voisin d'une table basse du même bois que le bar d'en-bas. Elle supportait une lampe de chevet et semblait chuchoter des mots doux à la fenêtre qui s'ouvrait sur la route. Un bureau décorait le dernier mur, étroitement attaché au miroir qui lui faisait face. Avec tout cet ordre et cette mélancolie, la jeune demoiselle ne put que se sentir chez elle. Elle déposa son sac sur le bureau, retira ses vêtements dans le plus grand respect de la pièce et se glissa sous les draps soyeux de sa nouvelle chambre. Elle ferma les yeux et, pour la première fois depuis longtemps, elle s'endormit si vite qu'elle ne s'en rendit même pas compte.

Le soleil était encore endormi par les sombres heures d'hiver lorsqu'elle sortit des bras adorables du lit. Alors qu'elle sortait de sa pièce, elle se rendit compte à quel point elle avait eu tord la veille. La salle du fond n'était pas les appartements d’Émile, mais les douches communes aux locataires, ce jour-là absents. La seule porte qui s'ouvrit en plus de la sienne fut celle du susnommé barman. Il arborait une mine beaucoup plus comique ce matin-là. Son torse respirait enfin à l'air libre, son cerveau avait vraisemblablement oublié de fermer correctement son pyjama et ses cheveux montraient des traces de fuites. Sans doute s'étaient-ils battus cette nuit pour atteindre la liberté. Ses yeux avaient dû mal à supporter le poids immense des paupières que la gravité faisait s'effondrer sur eux. Il avait couché sur son avant-bras deux serviettes. L'une était bleue, l'autre était rose, et il en proposa une à sa voisine de chambre. Elle tendit la même. Malheureusement, elle se figea, comme si le plus terrifiant des fantômes venait de passer ses mains glaciales dans son dos.
« Qu'y a-t-il ? »
« C'est un choix très important que je dois faire là voyez-vous. Cela ressemble à une action parmi tant d'autre. Cependant, je suis consciente que prendre la bleue appuiera en vous l'idée que je me bats pour les droits de mon sexe. Si jamais je prends la rose, vous serez alors persuadé que je suis une simple demoiselle attirée par l'amour et le romantisme. »
« Dans mon état, ma chère, vous risquez que d'appuyer ma paresse d'aller au travail. »
Il lui vola un rire. Elle s'empara finalement de la bleue et marcha à ses côtés jusque dans la salle de bain. Il chercha quelques secondes la clé et ouvrit la porte. Il la poussa doucement et une odeur de lavande envahit les narines de la jeune demoiselle plus vite encore qu'une armée. Les murs et le sol avaient revêtu leur manteau de carrelage gris et une colonne centrale séparait les deux côtés de la salle. La pièce était éclairée de lampes suspendues aux lumières bleues légères et accueillantes. Les deux fenêtres séparées par la colonne donnaient une vue sur le bâtiment voisin. Elles avaient l'habitude de laisser passer quelques rayons de soleil, alors elles ne sortaient jamais sans leur rideaux de soie rouge. Les douches étaient grandes, assortie et collée au mur de chaque côté de la salle. Elles étaient toutes accompagnées d'un lavabos et d'un miroir qui leur faisaient face. Il y en avait huit en tout et chacune d'entre elles se fermaient pour assurer une intimité respectée et un confort parfait. Elles possédaient même des sièges de la même matière que le reste. L'une d'entre elle fut rapidement demandée par Émile qui donna rendez-vous à son invité plus tard au bar. Elle n'oublia pas de le remercier avant de réquisitionner une douche à son tour.

Elle prit plus de temps que lui. Elle profitait de la caresse brûlante de l'eau et de l’agréable strangulation de la fumée qui s'en dégageait. Ses cheveux collèrent vite à sa peau rougie par la chaleur et ses paupières s'étaient fermées pour faire fuir le réel et la plonger dans un monde imaginaire. Aucune des choses qu'elle faisait ne lui semblait réelle. La vie était trop belle et trop souriante. Elle appréciait tellement ce moment qu'elle leva les bras, l'un après l'autre, dans une synergie parfaite. Elle faisait les mouvement du dos crawlé alors qu'elle s'imaginait nager sur un océan de nuages pendant qu'une lumière douce, salvatrice embrassait ses yeux fermés. Elle était une chose gracieuse sous cette pluie suave. Même lorsqu'elle stoppa le torrent elle était gracieuse. Elle sortit délicatement, enroulée dans sa serviette. Elle s'arrêta devant le miroir, ferma le lavabo et laissa l'eau couler calmement. Elle se sécha les cheveux, se rhabilla humblement, se lava et maquilla le visage avant de ranger ses affaires et d'abandonner les douches à leurs agréables odeurs de lavandes. Elle descendit. L'établissement n'était pas le même la journée. La lumière extérieur avait du mal à entrer et le peu qui se faufilait soulevait la présence de la poussière. Les ténèbres avaient avalé l'endroit entier. Les néons étaient éteints et muets, eux qui grésillaient continuellement. Les lampes se couvraient d'une cape grise de saleté et le lustre ne ressemblait qu'à une immense tâche vaguement coloré. Il y régnait une impression de vieux et de mort qu'elle n'appréciait guère. Les tables semblaient ne plus pouvoir tenir sur le bois terni par l'ombre et les tabourets voulaient indubitablement s'éloigner d'elles. Ce fut aussi la première et sans doute dernière fois qu'elle vit Émile avec un plumeau. Mélangé avec le tablier blanc qu'il portait formait dans son esprit une image caricaturale d'un barman efféminé s'occupant de faire la poussière. Elle se moqua de lui un peu fort. Il la remarqua. Pour s'excuser, elle lui proposa de l'aider. Il aurait été un piètre hôte s'il avait accepté une telle offre. Il la laissa partir : après tout elle avait encore des cours à assister. Elle lui adressa quelques remerciements et revêtant ses habits d'hiver. Il espérait juste la revoir bientôt, même si cela n'était pas pour consommer.

Elle revint dès l'heure d'ouverture. Il n'y avait pas encore de monde. Elle retrouva sa table et sa banquette. Émile était surpris de la voir, Ève lui adressa un sourire et le peu de client l'ignora. Elle tira ses affaires de son sac. Elle se mit à travailler. Elle acheta un thé aux fruits rouges, comme à son habitude, et demanda un effort surhumain à son cerveau. De temps en temps, lorsque celui-ci surchauffait, elle levait la tête quelques minutes pour l'aérer. Elle voyait alors l'endroit commencer doucement à se remplir, commencer à vivre. Le barman n'avait plus le temps de s'occuper d'elle et sa coéquipière ne savait plus où donner de la tête. Elle aurait aimé se rapprocher d'eux, mais les devoirs n'attendaient pas. Elle faisait preuve d'une assiduité exemplaire, arrivant à comprendre et assimiler les connaissances avec le bruit, la musique et la population grandissante autour d'elle. Elle ne pouvait cacher sa fierté lorsqu'elle ferma son cahier, et son regard était aussi pétillant de joie que ses chevilles étaient gonflées. Elle venait de passer deux heures à réviser et elle n'avait pas vu le soleil décliner. Maintenant, seuls le lustre en cristal et les ampoules qui l'accompagnaient gardait les clients dans la lumière. Elle eut du mal à regarder à travers la vitre tant il y avait de monde, mais elle remarqua les lampadaires encore allumés fixer la route de leur regard mécanique. La nuit de l'hiver était tombée, mais elle n'avait pas réussi à endormir les personnes qui s'étaient retrouvés dans le bar qui faisait l'angle ce soir-là. Les tables étaient pleines. Il y avait autant de monde ici qu'au bar, et il était si populaire que certains étaient restés debout. Elle proposa alors sa place à ceux-ci. Elle ne désirait pas passer une nuit de plus ici alors que le gérant devait s'occuper de tant de monde. Cependant, le couple qui s'installa en face d'elle insistèrent pour qu'elle reste leur tenir compagnie. Après tout, ils lui volaient un peu de son espèce vital. Elle finit par accepter.

Élise et Léon étaient deux grands amoureux de cet endroit. Ils y venaient souvent, notamment parce qu'ils connaissaient bien Émile. Elle, elle était du genre très sophistiquée. Elle avait une coupe de cheveux rousse très moderne, des mèches courtes et uniformes, en carré. Elle les protégeait sous un grand chapeau noir presque transparent. Il supportait à son tour une fausse plume en macramé de la même couleur. Ses yeux bleus étaient voilés par l'ombre opaque de ses cils. Un rouge à lèvre intense donnait une impulsion à sa bouche qui ordinairement semblait plutôt discrète. Une bande en dentelle entourait son cou et portait comme une reine un bijou orné d'un rubis. Elle portait une robe de cocktail rouge. A la façon des pin-up populaire, son vêtement s'ouvrait sensuellement sur sa jambe gauche. Elle cachait le reste de sa peau bronzée dans des ballerines appropriée aux réceptions dont elle avait, aux premiers abords, coutume de participer. Elle avait un regard perçant de femme qui en voulait, prête à faire savoir au monde qu'elle était là. Ses gestes étaient languides et brassaient le vent comme si celui-ci était une marre de crème brûlée. Elle prit le verre de champagne qu'elle avait commandé avec cette lenteur hypnotique. Elle ne cachait pas sa bague de mariage, elle qui supportait tout ses souvenirs, ses rêves et son amour dans une émeraude parfaite. Mais au final, rien n'attirait plus l'attention que son délicat sourire. Lui, était beaucoup plus urbain. Il replaçait mécaniquement ses lunettes de vue sur son nez, et ses longs cheveux noirs tombaient comme une cascade d'encre sur son visage. Une seconde habitude qui l'habitait était de séparer cette mère d'ombres pour y faire sortir des yeux aussi bleus que des saphirs sous la lumière éclatante de l'établissement. Le sourire n'était pas attaché à ses lèvres. Au contraire, les traits de son visage étaient durs, tranchés au couteau. Deux fines rides encadraient son nez et descendaient jusqu'au début de son menton. Il était grand, même assis à cette table, et le col noir et argenté qui se relevait fièrement comme une rempart autour de son cou ne faisait que le rendre plus grand encore. Il portait un long manteau en cuir qu'il ne voulait pas retirer. Une chemise était cachée en-dessous et arborait quelques chaînes en argents. Elles glissaient de sa poche sur son torse pour rejoindre discrètement celle de son manteau. Il portait un pantalon en mauvais état et des grosses chaussures prêtes à escalader les montagnes. Il était sévère, mais surtout totalement amoureux de sa compagne. Ses passions le poussèrent à la vodka, mais la puissance de ses sentiments le contenta de deux cafés.

La jeune demoiselle les trouvait amusant tant elle n'avait pas besoin de parler pour parfaire sa relation avec eux. Elle était intéressée lorsqu'ils parlèrent d'eux. Léon était un maçon de talent, malheureusement peu aidé par la vie. Son aigreur naturel venait du fait que tout ce qu'il avait amassé par détermination s'envolait, subtilisé par la main agile de l’État. Il était marié depuis peu à Élise, une secrétaire très appréciée de la mairie de la ville. Une armée de bagues dansaient autour de ses doigts, il était impossible de savoir laquelle était celle de ses fiançailles. Il connaissait bien cet endroit et son gérant parce qu'il avait aidé Émile à le rénover il y a peu de temps. Il avait la vilaine habitude de traîner ici après les concerts et cela le mettait en retard pour rentrer chez lui. Ce fut ainsi, inquiétée et soucieuse, que sa femme apprit l'existence d'un tel endroit. Ils vivaient dans le même appartement depuis peu. Malgré quelques formalités de couple, cela se passait bien. Il était nocturne et aimait rester éveiller, alors elle se couchait tard régulièrement. Tandis qu'elle, aimait les choses propres et rangées alors il était souvent contraint de faire le ménage. Ils criaient cependant haut et fort qu'ils étaient heureux. Ils s'embrassèrent même. Cette vague de bonheur sortit d'eux avec la puissant d'une impulsion et ce qui aurait du être une note d'espoir se transforma en une cruelle nostalgie. Elle s'empara du cœur de la jeune demoiselle. Toute sa fierté fut balayée et son courage piétiné. Ses passions, victorieuses, se frayèrent un chemin dans un galop infernal jusqu'à ses yeux. Le lustre de cristal refléta cet éclat de tristesse qui attira l’œil du mari.
« Tout va bien jeune femme ? » Lui demanda-t-il. Son ton dévoilait moins son envie d'aider que sa simple curiosité morbide.
« Oui oui. » Répondit-elle en effaçant ce moment de faiblesse sur sa manche. « Vous êtes juste si bien assortis, cela m'a étonné. »
Ils se regardèrent l'un l'autre puis ils se sourirent. Tandis que la jeune demoiselle leur tirait sa révérence, à eux comme à Émile et sa collègue, elle fut joyeuse de les entendre commander une chambre pour la nuit.

Malgré ce tourment profond, cette tristesse immense d'être loin de ses amis, elle fut de nouveau au bar le lendemain. Elle se trouva devant la porte quelques minutes avant l'ouverture et révisa seule dans le café un long moment. Elle et Ève étaient seules ce soir-là. De temps en temps, lorsqu'elle prenait place à sa table, elles discutaient ensemble. La serveuse venait tout droit de New York. Sa famille formait un foyer américain moyen, avec toutes les qualités et les défauts qui accompagnaient ce statut. Ses parents étaient de grands conservateurs et tenaient à l'image de la famille pro-Reagan. Elle les désignait comme responsables de son rêve d'enfance qui était de vivre à l'étranger. Elle voulait vivre à Paris, près de la Tour Eiffel. Elle voulait descendre de son appartement et commencer sa matinée avec le café du coin. Mais elle ne put réaliser ce songe : La crise avait été plus rapide et plus violente que ses  aspirations. Elle avait donc fait ses études ici et avait prit ce travail pour les payer.
« Je me plais tellement ici » Dit-elle alors que les pas d’Émile trahissaient sa présence. « Des fois je me demande si je ne devrais pas vivre ici. »
« Qu'ouïe-je ? » S'écria alors son patron « Une demoiselle veut s'approprier mon bar comme je me le suis approprié dans ma jeunesse ? Je ne sais si je pourrais l'accepter. »
Les deux filles rirent ensemble, mais durent se séparer lorsque la salle commença à se remplir. Même si c'était une journée calme, il y avait toujours quelque chose à faire. C'était la phrase fétiche de son gérant. Il pouvait passer une heure entière à essuyer des verres si propres qu'on les confondrait avec des diamants, cela ne l'empêchait pas de dire que le travail ne s'arrêtait qu'à l'heure de la fermeture. La jeune demoiselle ne se lassait pas d'être admirative et de le communiquer aux deux ouvriers. Ces compliments étaient sincères et cela leur faisait énormément plaisir. Elle ne retrouva pas la foule et l'agitation de la veille. Elle put en profiter pour apprécier les titres de bossa nova qui avait plongé l'endroit dans un monde de sensations agréables. La meute de clients absents, elle pouvait sortir son ordinateur et parler quelques heures avec son ami. Elle se souciait de lui, mais plus que l'inquiétude, c'était la distance qui les séparait qui la faisait revenir vers lui. Cet élan n'était pas réciproque. Elle le sentait si confiant en lui qu'il n'avait pas besoin de se questionner sur leur avenir. Il lui disait être persuadé qu'ils allaient se revoir, elle et toute sa bande. Lorsqu'elle quitta l'appel, lorsqu'elle referma son ordinateur, il n'avait pas soutenu son moral décadent. Il n'avait fait que rouvrir des plaies qui avaient du mal à cicatriser. Elle croisa les bras pour former un bassin où elle noya son visage. Elle ne pleurait pas. Sa gorge était cependant incendiée de fortes passions. Elle avalait une lame de rasoir à chaque fois qu'elle déglutissait. La pression était trop forte sur son petit cœur. Elle prit ses affaires et s'en alla. Ses salutations furent suivis d'une traînée de larme dont l'éclat était souligné par les lumières du bar.

Cette scène ne l'empêcha pas de revenir le lendemain soir. Ce jour-là, elle n'était pas la première arrivée. Il y avait déjà du monde. Sa place fétiche était occupée. Elle ne se voyait pas aller la réclamer, alors elle décida simplement de changer de bourgade et de s'installer dans un autre royaume. Elle avait l'espoir insensé que ce nouvel horizon lui promettrait une vie moins douloureuse. Mais il n'en était rien. Entre les devoirs et les souvenirs aiguisés du passé, elle échangeait de paysage entre celui infâme du travail et celui regrettable de son ancienne vie. Elle, dans sa tour de verre, ne pouvait que rester assise sur sa banquette et seulement rêver à sortir de cette prison, de cette torture. Comme toutes princesses enfermées, quelqu'un vint au pied de sa fenêtre quérir son attention. Émile s'arrêta en personne devant sa table pour prendre sa commande. Il ne lui laissa aucune seconde pour formuler son souhait. Il avait déjà marqué ce thé aux fruits rouges qui la caractérisait. Plus que le budget, il était là pour s'approprier quelques explications auprès d'elle. Ce fut un acte généreux qui fit trembler le cauchemar dans lequel elle vivait. Il était encore plus apprécié à la vue du travail qui lui restait à accomplir. Elle voulait garder tout cela pour elle. Quelle immorale amie elle était si elle lui faisait perdre du temps. Alors elle se confia à lui et son cœur tout comme son esprit prirent de la légèreté. Comme une montgolfière qui gonflerait, plus elle lui parlait plus ces deux organes s'envolaient dans le ciel. Toutes ces images apaisantes explosèrent dans une palette immense de couleur lorsqu'il déposa sa main sur son épaule. Il lui offrit un sourire plein de compassion et lui promit qu'il pouvait arranger ça. Elle ne voyait pas encore lui la figure du chevalier en armure étincelante venant faire trembler sa prison de verre, mais celui de la petite sourie en gilet de costume sur laquelle elle pouvait s'appuyer. Tout ce qu'il demandait, c'était qu'elle soit patiente. Elle voulait savoir pendant combien de temps et il lui proposa juste d'attendre jusqu'au lendemain. Ce supplice lui sembla tellement moi cruel que son incessant tourment. Elle accepta, ses paroles étaient accompagnées de ce petit sourire gêné et redevable. Il retourna à ses affaires, il en était bien obligé. Elle ne lui en voulait pas et le regarda s'éloigner d'elle un moment.

Rien ne la poussa à partir. Au contraire, elle resta jusqu'à la fermeture. Elle passa un long moment à examiner, admirer et dessiner dans son esprit les moindres recoins de l'établissement. Elle connaissait par cœur les courbes de cette immenses dame de pierre qu'était la salle. A la fin de la soirée, elle pouvait la décrire sans même la regarder. Les yeux fermés, le sourire collé sur son visage, elle comptait sur ses doigts n'importe quel détail. Des rires la fit sursauter et la lumière s'infiltra violemment dans ses yeux lorsqu'elle se retourna. Un trio de jeune homme la regardait et lui envoyait des regards amicaux. Ses joues se teintèrent de rouge et son cerveau ignora ces jeunes hommes comme s'ils étaient la peste. Sans doute n'étaient-ils qu'une bande ne voulant que profiter de leur soirée. Son subconscient était en panique et cherchait frénétiquement du regard la moindre source de distraction. L'endroit le plus apte à cela était évidemment le bar. Il y avait toujours du monde, à n'importe quelle heure, quelque soit l'agitation qui y régnait. La majorité connaissait Émile si bien qu'ils caquetaient son nom comme les chiens gémissaient aux pieds de leurs maîtres. Ceux qui ignoraient l'identité du gérant faisaient tout de même, par un mimétisme avide de traitement de faveur. Il n'y avait qu'à ce moment où il pouvait comprendre le seul avantage tout de même discuté de la célébrité. Il n'y avait de yeux que pour lui et ses cocktails. Des hurlements brisaient toutes harmonies à chaque jonglage qu'il réussissait et les rires élargissaient les murs lorsque les rares échecs se montraient enfin. Ève mettait toute sa volonté au service de ces personnes maintenant qu'elle s'était occupée de toutes les tables. Elle semblait à l'aise malgré certains regards attachés à elle. Cette lionne se démarquait sans cesse de cette meute de soiffards par sa grâce, sa beauté et surtout son standing rigoureux. Et pourtant, pas un seul des garçons que la jeune demoiselle tentait de fuir ne se tournait vers elle. Elle sentait encore leur regard dans son dos. Cependant, partir serait avouer sa défaite. Ils étaient aspirés dans un jeu d'échec interminable où le perdant serait le premier à quitter la partie. Elle fut victorieuse. Ils furent polis en sortant, eux comme tout les autres. Ève également fit sa révérence d'une belle façon. Elle désirait s'en aller, elle s'était même levée avec son sac sur l'épaule. Émile avait justement terminé le ménage.

Il lui proposa de la ramener. Il était tard et l'extérieur était toujours aussi dangereux quand le soleil ne protégeait pas ses enfants. Dès que les lampadaires fermaient les yeux et que les ampoules du bar s'en allait dormir, des démons perfides cachés dans l'ombre sortaient finalement de leur cachette pour s'approprier les rues de la ville. Des gens aux yeux rouges, aux sourires édentés et aux longs ongles crochus, aveuglés par maléfice que les humains ne pouvaient combattre. Aucun d'entre eux n'aurait retenu ses pulsions macabres au passage d'une si jolie jeune fille. Elle n'avait jamais vécu ces problèmes. Elle avait toute confiance en lui cependant, et elle accepta de sa proposition. En le suivant, elle découvrit un autre secret de cet endroit. Il y avait une trappe derrière le bar, elle menait au garage dans un escalier en vieux bois très étroit. Il lui demanda de faire attention à sa tête, mais elle était si obnubilée par cette surprise qu'elle se cogna tout de même. L'endroit était plongé dans le noir et ne voulait pas y sortir. L'unique lumière dénudée n'éclairait que d'une étincelle timide. De plus, l'ombre avait d'immenses cachettes et foyers tant il y avait du bazar. Une vieille table de billard cassée gisait sans vie sur la gauche, jetée sur des cartons comme un cadavre qu'on aurait enfoui ici. De vieilles décorations hors service jouaient le rôle des fleurs sur cette tombe. Quelques souvenirs du passé se rajoutaient à cette farandole grotesque. Le côté droit était tout aussi hasardeux, supportant dans une tempête de désordre quelques morceaux de moteurs, de freins, de pots d'échappement et d'une poignée d'autre pièces. Une guitare passait son temps accrochée au mur à chercher une sortie de secours. Au milieu de cette négligence insoupçonnée se soulevait cependant une puissante moto entretenue à la perfection. Deux casques entouraient ses roues, lavés récurés et frottés comme il se devait. La peinture luisait et arrivait même à briller sous le regard de la faible lampe du garage. Mais dans tout ça, une vieille photo se démarquait, ensevelie sous des années de dénis et de poussière. Elle s'en empara et passa le dos de sa main pour faire fuir ce voile gris. C'était une photo de l'établissement peu après sa naissance, il y avait fort longtemps de cela. Émile était dessus, plus jeune encore qu'aujourd'hui, et son épaule était habitée par le bras de son patron. L'inverse était aussi juste. Elle trouvait cela triste de cacher un tel moment du passé, emplit de joie et d'espoirs. Elle lui demanda des explications, mais il ne put rien lui offrir. Elle n'osa pas insister, elle préféra enfiler le casque qui lui tendait et monter sur la moto. Il ouvrit la porte du garage. Le moteur se mit soudain à ronronner lorsqu'il enfourcha l'engin. Il toussotait de plaisir, pouvant enfin sortir le soir pour faire du bruit et inonder les rues de son phare ivre. Il était si content de bouger qu'il partit au quart de tour.

Elle fut à son rendez-vous dès l'heure d'ouverture. Encore une fois elle était la première, et encore une fois son verre habituel se dressait sur sa table. Il n'y avait encore personne et Émile était seul au bar, sans doute plongé dans ses pensées elles-même noyées dans le travail. Mais aucun de ces démons ne le protégeaient des ombres de la jeune demoiselle. Elle ignora sa table fétiche pour le rejoindre. Il fut surpris et heureux de la voir venir à lui, mais il resta sceptique à sa demande. Elle lui demanda ce qu'il lui avait promis. Il étira un sourire bienheureux. Encore quelques heures demandait-il. Elle lui autorisait, mais bien parce que c'était lui. Elle retourna à sa place se jeter à corps perdu dans son apprentissage. La salle s'était remplie rapidement, et même si la foule était limitée par la journée peu rentable d'aujourd'hui, la bar réussissait à trouver le souffle nécessaire pour vivre. Deux vieilles demoiselles discutaient au fond, un homme d'affaire profitait de son café, un adolescent et sa copine se partageaient un verre de rhum, deux hommes parlaient politique et économie auprès du barman et Ève était souvent interpellé par un groupe d'habitués. Toutes ces personnes disparurent soudainement lorsqu'un jeune homme entra dans l'établissement. Le poids de la pluie pesait lourd sur sa veste lorsqu'il l'accrocha au porte-manteau. Elle appuyait aussi sur son polo cyan, sur ses cheveux châtains attachés en queue de cheval et sur son pantalon marron. Ses yeux verts cherchaient leur chemin, perdu dans cette nouvelle pièce qu'ils découvraient pour la première fois. Son sourcil était percé par une pyramide verte et une sphère argentée. Ses lèvres étaient enfermées dans une barbiche parfaitement bien tenue. Une de ses mains lui servait de porte-étendard ; Une araignée jouait du piano sur le dos de sa main, enfermée dans de l'ancre. Son autre main était ensevelie sous des bagues en tout genre. Le plus noble dans ce portrait d'un homme à peine plus âgé était le fardeau qu'il portait dans son dos. Telle une vorpale magnifique ou une relique damnée, il présentait fièrement sa basse endormie dans son cercueil de nylon. Personne ne s'occupait de ce vagabond abandonné. Ève était demandée partout et Émile s'occupait de la discussion de bar qui avait muté en un conflit géo-politique.

La jeune demoiselle se leva alors et lui demanda ce qu'il cherchait. Lorsqu'il lui répondit, sa voix avait un accent anglais très marqué et une odeur de poissons frais sortait de sa bouche.
« Oh je m'appelle Owen et Mister Émile m'a demandé pour une représentation avec quelques uns de ses amis. Il m'a dit de chercher le...barman. »
D'un seul regard, elle comprit que celui-ci n'était pas apte à répondre à sa demande. Le conflit s'était transformé en une puissante tempête que le gérant essayait, à défaut de la démanteler, de la faire sortir.
« Je crains qu'il ne soit pas disponible pour le moment. Si vous voulez, je peux vous tenir compagnie le temps qu'il se débarrasse de son labeur. »
« Thanks you very much. Depuis que j'ai quitté London, je déprime facilement tout seul. »
Il lui emboîta le pas jusqu'à la table où il s'assit devant elle. Ève passa rapidement, mais il ne commanda rien. Il était là simplement parce que Émile le lui avait demandé. A vrai dire, les bars n'étaient pas ce qu'il préférait le plus. C'était paradoxal, lui qui était né à la capitale de l'Angleterre. Ses parents n'étaient pas les plus riches, au contraire ils étaient membres d'une classe sociale ouvrière. Son père travaillait dans un restaurant gastronomique en tant que commis et sa mère était infirmière dans un hôpital. Il avait été élevé entre ses deux horaires. Sa famille ne put l'éloigner des passions magistrales de la musique et il tomba amoureux de la basse dès l'adolescence. Il grandit dans un groupe d'amis aveuglés par l'envie de monter un groupe. Dès l'entrée dans la vie adulte, il fut le seul à garder ce rêve profondément ancré en lui. Il aimait trop la musique pour l'abandonner pour la sécurité de l'emploi. Il n'avait pas trouvé de producteur chez lui, alors il était venu voir ici. Ce ne fut pas fameux non plus. Il se laissa tenter par les petites annonces, et c'est ainsi qu’Émile avait pris contact avec lui. Tout ce qu'il cherchait au final, c'était de prouver à ses amis qu'ils avaient eu tord de choisir l'argent à la félicité. Il voyait en Émile un sauveur, disait-il en la regardant boire son thé. Elle comprenait très bien ce qu'il disait, il l'était un peu pour elle. Elle le rassura :
« Pas besoin d'espérer, il est ton sauveur. »
Il ricana. Il avait sorti sa basse et envoyait des notes silencieuses s'attacher aux murs de l'endroit pour ne plus jamais les lâcher. Une étrange habitude qui le suivait partout, accrochée à son dos comme l'enfant qu'il aurait eu avec la musique. Que ce soit dans les couloirs, les bars ou les salles d'attente, il sortait toujours son instrument. C'était plus qu'un réflexe disait-il, c'était devenu comme une nécessité.

Elle ne put profiter de son talent que quelques minutes à peine. Émile vint le trouver bien vite, à la fois rempli d'envie de bien faire et d'excuses stupides. Finalement, le musicien s'éloigna avec le barman pour discuter. Il laissa son établissement aux mains de sa coéquipière. Malgré le travail à faire, elle resta courageuse et accepta la tâche à accomplir. La jeune demoiselle avait, au fond de son cœur, le désir immense de leur porter de l'aide. Cependant, rien de ce qu'elle pouvait faire ne pouvait leur être d'une quelconque utilité. Ni Ève ni son patron n'auraient accepté. Alors elle se retrouva à nouveau à cette table, son second verre rempli regardait tristement celui qui le précédait. Elle ne resta pas seule longtemps, mais cette petite interstice entre deux rencontres excitantes marqua un vide dans son cœur. Son poing se referma doucement sur la tragédie qu'elle vivait sans jamais pouvoir l'attraper et l'écraser. Elle avait si mal que même son comportement devenait étrange. Elle déposa ce poing contre sa poitrine. Les aiguilles qui la transperçaient avec la puissance d'épaisses lames arrivaient tout de même à passer outre cette protection sans intérêt. Ses sourcils étaient froncés et les plis de sa peau semblaient tirer celle-ci loin de la source de sa douleur. Elle soupirait des menaces pour effrayer ces couteaux profondément plantés dans son cœur, en vain. Sans doute ces actions attirèrent l'attention puisqu'un nouveau client trouva place devant elle. Elle s'excusa, la manche de son haut étala sa peine tout comme son maquillage. Elle voulut partir loin de l'image pathétique qu'elle donnait, mais quelqu'un se soulevait sur son passage. La première personne, celle qui s'était assise, retirait lentement de magnifiques gants en velours blancs. Elle se disait s'appeler Olivia. Lorsqu'elle retira son chapeau pour le coucher sur la table, ses cheveux furent comme libéré et s'envolèrent comme des nuages. Ils ressemblaient à des torsades de chantilly tant elle s'occupait d'eux. Le reste de cette belle communauté capillaire était enroulé dans un chinions tenu par deux baguettes si propre qu'elles renvoyaient un reflet parfait. La jeune femme qui possédait ces atouts avait aussi des lunettes petites et rondes, aux branches rouges qu'elle n'avait en apparence plus besoin maintenant. Elle s'en servait peut-être pour cacher les deux cacahuètes qu'elle avait dans le regard. Plus que ses yeux, ses lèvres noires étaient splendides et donnaient au visage un attrait presque énigmatique. Plus énigmatique encore que son petit corps emmitouflé dans son manteau de neige qu'elle avait gardé. Elle était jeune, si jeune qu'elle ne connaissait l'adolescence que depuis peu. Pourtant, elle semblait déjà plus adulte que la triste dame qui lui faisait face.

Elle était accompagnée d'un majordome tenu en respect par son costume noir, son pantalon assorti et son nœud papillon qui saupoudrait le plat délicieux qu'il était d'une saveur amusante, tout comme le fromage donnait un aspect gastronomique aux pâtes de l'étudiant. Il était grand, si grand qu'elle avait l'impression d'être devant une montagne à la neige noire. En effet, il portait fièrement sa chevelure ténébreuse. Quelques mèches tombaient sur ses yeux verts, le tâchant d'une lueur sombre. Quelques tâches se trouvaient un chemin dans ce regard ancré dans la réalité. Il tenait un parapluie blanc sur son avant-bras gauche et ses gants noirs n'osaient à peine le toucher de peur de le tâcher. La fille qu'il servait le présentait comme Cian. Ils étaient comme le yin et le yang, l'un vêtu de blanc et l'autre d'une cape de ténèbres, et pourtant tout deux enveloppé dans un sérieux effrayant. Olivia ne voulait pas la laisser partir, disait-elle avec ce ton que les riches propriétaires terriens. Qui serait-elle, après tout, si elle la laissait partir les larmes sur les joues.
« Me voilà bien gênée. Je suis meurtrie par la distance qui me séparent d'amis que je me suis faits à la suite d'immenses efforts, et seul ces maux me font rencontrer de nouvelles personnes. » Finit-elle par dire en s'essuyant une nouvelle fois le nez. Son interlocutrice trouvait cela triste. La distance était quelque chose qui la heurtait, mais elle lui répéta plusieurs fois qu'elle était nécessaire. Elle ne pouvait rien faire pour elle à part lui tendre la main et être son amie. Une larme coula sur la joue de la jeune demoiselle lorsqu'elle accepta.

La musique soudainement rebondit sur les murs comme les échos rapides d'une bonne humeur retrouvée. Le tempo et la mélodie donnaient envie de se lever, de danser ou même de hurler à quel point on se sentait bien ce soir là. Elle ne sortait pas des enceintes, de la télévision, mais bien de plusieurs amplis posé contre le bar. Émile veillait sur eux, ses mains toujours occupées par un verre qu'il pensait sans doute sale. Il avait fait la place en envoyant les tabourets et une table entière faire un voyage dans la garage. Il avait engagé Owen, quatre autres artistes qui proposaient un concert spectaculaire. Le bossa nova habituel venait de laisser place à une atmosphère moins harmonieuse et plus groovy qui faisait danser les clients les moins coincés. L'endroit était à présent plongé dans une ambiance de fête si réussie que même les lampadaires essayaient de bouger sur le rythme. La prestation des musiciens y était pour beaucoup, mais les lumières qui s'allumaient de rouge, puis de bleu, de magenta puis de cyan, de vert puis de jaune ajoutaient elles aussi leur touche à cette fièvre. L'alcool et la cigarette avaient sans doute une influence, mais on préférait l'ignorer pour profiter de la soirée. Ève n'avait jamais été aussi heureuse, elle connaissait toutes les chansons qui animaient la nuit et les chantait plus ou moins avec le professionnel. Elle dansait quelques fois, aucun de ses pas ne faisaient vibrer les boissons en déplacement sur son plateau. Elle était impressionnante. Émile vint prendre la commande de la nouvelle cliente, et en profita pour s'adresser à la jeune demoiselle.
« J'espère que cela vous suffira, je veux dire pour votre moral. »
« Vous...Tu n'étais pas obligé. » Répondit-elle.
« Je pense que cela fait du bien à tout le monde. A toi, comme à la demoiselle ici présente. »
Celle-ci baissa la tête. Elle avait le sourire aux lèvres et s'enfonçait dans la banquette. Son regard fuyait celui du gérant le plus discrètement possible.
« Bien joué mon cher, vous faites des prouesses pour vos clients. »
« Mes habitués sont toujours bien traités. Dans un monde comme celui-ci, cela devient rare, et c'est tout ce que je veux être. »
Il partit, prétextant qu'il avait quelques labeurs qui l'attendaient. Bien que la demoiselle était heureux de l'intervention de son ami, son enthousiasme était bien mineur à l'instar de celui d'Olivia. Elle ne put le lâcher du regard quand il s'éloigna. C'était comme si sa vie dépendait de ce regard, et qu'un seul faux pas la mènerait en enfer. Son majordome la ramena à la raison, mais elle affichait toujours ce grand sourire niai qui semblait l'irriter.

La nuit se termina sur cette note fraîchement belle. Elle ne voulait pas qu’Émile ne la ramène à nouveau, elle partit un peu plus tôt que d'habitude. Elle refusait toutes les propositions qu'il faisait, comme si elle rejetait un prétendant trop insistant. Elle voulait marcher un peu. Elle enfila son manteau et s'en alla, son sac sur le dos et de nouveaux souvenirs pleins la tête. Ils ne restèrent pas seuls longtemps. Elle retourna au bar le lendemain, à l'heure d'ouverture, comme chaque jour depuis que cette habitude c'était profondément incrustée dans son quotidien. Non seulement elle n'était pas la seule dans l'établissement ce jour-là, mais le second client était quelqu'un qu'elle connaissait. Léon était seul, concentré dans le tête à tête qu'il partageait avec son café. Il ne refusa pas la présence de l'étudiante, loin de là. Malgré son regard dur, il était heureux de la revoir. Il n'avait pas pu assister au concert de la veille, disait-il. Il travaillait sur un chantier et il avait passé la nuit à construire un bâtiment. Il était venu ici dès la première heure pour finir de se reposer. Sa femme était encore enfermée dans son entreprise par ses horaires. Il profitait de son absence et du désert social qu'était le bar à cette heure pour fumer. Elle l'avait forcé à ne plus boire et commençait peu à peu à prendre du terrain sur la seule liberté dangereuse qui lui restait. Il fumait alors. Il proposa même à son interlocutrice, mais le grain de sel d’Émile le dissuada bien vite d'insister. Elle n'était pas fumeuse et pour rien au monde elle désirait le devenir. Cependant, elle ne voulait pas imposer son choix aux autres. Elle le laissait fumer, si cela pouvait lui faire plaisir. Il lui semblait plus amical le bec rempli d'ailleurs. Il resta un moment avec elle. Le bar eut le temps de retrouver sa popularité nocturne. Il ne quitta pas sa place, même lorsque la foule avait assiégé le bar. Il préférait rester avec elle, parler de leur passé respectif. Il avait cette ironie naturelle, au plus profond de lui, qui le transformait en un poète empli d'humour noir. Il riait de sa tendance à déprimer, notant que chaque échanges qu'ils ont et auront ne donneront que plus d'élan au coup de poignard qu'elle ressent et ressentira chaque fois qu'elle rentrera chez elle. Ses cruelles vérités n'avaient pas pour but de lui donner le sourire, elles lui prodiguaient cependant un courage nouveau. Une sorte de défi, comme si lui prouver son erreur la rendrait enfin joyeuse. Définitivement. Il trinquèrent. Thé et café, mortels ennemis, s'alliaient enfin entre leurs doigts. Ils burent leurs tasses d'une traite. Plus doucement encore que si le temps s'était soudainement ralenti, ils les déposèrent sur la table. Ils étaient synchronisés à la perfection. Bien que cela lui inspira une nouvelle remarque horriblement amusante, elle trouva cette scène blessante tant elle était paisible. La nuit était à peine devenue reine qu'il devait rentrer. S'il n'était pas à la maison pour le dîner, ses bretelles ne tiendraient pas longtemps son pantalon. Avant qu'elle ne puisse se rendre compte qu'il n'en avait pas, il était déjà dehors à attendre un taxi devant la baie vitrée du bar. Elle en profita pour passer un coup de fil à Hugues. Il devait être étouffée par les études pour ne pas répondre. A moins que sa plus grande peur ne se réalisait. Ils étaient si loin l'un de l'autre que leurs cœurs ne se suffisaient plus. Il n'avait peut-être plus besoin d'elle et l'avait abandonnée comme on oubliait un objet de décoration rangé dans un grenier vide. Elle déposa sa tête sur la table. La solitude était autour d'elle pour de bon, et aucune lumière ne pouvait lui faire peur. Ni Émile ni Ève ne pouvait l'empêcher de resserrer ses griffes autour de sa gorge. Pendant qu'elle suffoquait, des hallucinations voyaient le jour. Des souvenirs brumeux prenaient forme devant ses yeux. Entre lignes droites et dessins approximatifs, elle revoyait les scènes les plus marquantes d'avant son départ. Pas une fois elle n'avait remarqué à quel point ces moments étaient ce qui se rapprochait le plus du paradis.

Une brume du début de sa dernière année se formait devant ses yeux vitreux. Elle était assise seule sur le muret avec son cahier d'histoire sur les genoux. Le froid du mois d'Octobre se faufilait entre ses vêtements et la lumière pâlissante du soleil avait pris place dans le ciel. La main de son ami sur son livre la fit sursauter et elle partagea bien vite le sourire sur son visage. Hugues, ce garçon qu'on ne pouvait décrire tant il était parfait. Que ce soit physiquement ou moralement, elle n'avait de mot pour lui car il était la seule chose de ce monde qu'elle ne pouvait définir. A la fois rigoureux et abstrait, théorique et empirique, enthousiaste et cynique, fou et sérieux, il était tout ce dont tout le monde rêvait. Il la força à fermer son livre. Cela faisait trois mois qu'ils étaient séparés, il fallait fêter leurs retrouvailles. Elle avait passé ses vacances en Allemagne. Ses parents aimaient voyager et elle ne pouvait se soustraire à leurs envies tant qu'elle n'était pas majeure. Lui qui ne bougeait jamais de sa ville, de son confort, de sa sécurité, elle l'enviait quelques fois cette année-là. Un coup de vent les frappa. Un vent violent, comme on en trouvait dans les montagnes. Ce vent atteignit même le brouillard de sa vision.

Il dansa sous son regard affligé pour former un autre souvenir plus violent encore. Elle était de retour sur son muret. La neige tapissait enfin le sol et les toits. Le vent n'était plus fort, mais il avait pris cette assurance glaciale qui la frigorifiait. Quelle imbécile avait-elle été de braver l'hiver simplement à cause d'un rayon de soleil. Heureusement, une veste trop grande s'allongea sur ses épaules pour souffler de l'air chaud dans son cou. Elle leva la tête. Hugues était encore là, lui et son sourire. Il était maintenant habillé pour la saison. Aussi parfait pouvait-il être, il ne pouvait empêcher le froid de faire rougir ses joues et le vent de faire goutter son nez. Elle se moqua un peu de lui, mais il avait assez d'humour pour ne pas la prendre au sérieux. Ils marchèrent de nouveau ensemble. Leurs chaussures faisaient résonner le bruit de la neige. Sur leur route se dressa une flaque qu'elle s'efforça de contourner et qu'il traversa sans peur d'être mouillé. Il disait ne pas avoir peur de l'eau avec ses nouvelles bottes. Il était vrai qu'à côté, ses petites bottines faisaient pâle figure. Le plus marquant cependant fut ses plaintes incessantes. Il répétait plusieurs fois pendant le chemin qu'il haïssait l'hiver, le froid et les problèmes que cela entraînait. Elle avait pleinement confiance en elle à cette époque, alors elle se permit de le faire taire. Sans mauvaises intentions elle sous-entendit qu'il ne savait que se plaindre. Elle s'attendait à une réplique cinglante, mais il prit cela comme une blague. Une boule de neige troua cette vision et ses morceaux idylliques prirent une apparence plus étouffante.
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Dim 14 Oct - 13:32
Noël arrivait déjà. Une soirée entre pote semblait être le décors pour celui-ci. Rien d'alcoolisé, en tout cas pas aux premiers abords. Tout le monde dormait déjà. Elle, Hugues et un autre garçon était encore éveillé. Sous l'éclat accompli de la lune, des morceaux de verres rampaient sur le sol, resplendissant d'une couleur à la fois verte et rouge. Elle cligna des yeux. La carcasse d'une voiture gisait là, éventrée par un panneau Sens Interdit. Elle cligna des yeux. La danseuse étoile accrochée à son porte-clé se balançait frénétiquement au-dessus du vide. Elle cligna des yeux. Ses mains la faisaient souffrir et des morceaux conséquents de la vitre avaient transpercé sa jambe. Elle cligna des yeux. Les lèvres d'Hugues semblaient s'éloigner de son visage et celui recouvert de sang du jeune homme semblait apaisé par son regard conscient. Elle avait eu un accident ce jour-là. Son ami lui avait sauvé la vie en lui appliquant les premiers secours. Pendant que les ambulanciers arrivaient, il lui tint la conversation toute une heure. Il ne savait pas où elle avait eu son permis. Il proposa même l'hypothèse que son moniteur avait dû être plus ivre qu'elle. Bien qu'elle ne montrait qu'un visage ravagé par l'accident, elle trouva son idée plutôt amusante. Le bruit des sirènes et les lumières rouges et blanches des intervenants furent les dernières choses qu'elle sentit. Cela et le visage disparaissant peu à peu de Hugues. La vision se rouvrit sur une scène tout aussi sanglante.

Un rasoir était couché sur le tapis d'une salle de bain trop blanche. Une bouteille d'alcool se dressait sur le lavabo, à moitié vide. Une trousse de secours flottait humblement dans l'eau d'une baignoire comme un bateau en papier sur un lac. Le son des larmes qui coulaient et de la lumière qui grésillait faisait loi dans cette pièce. Sa main à elle était plus rouge qu'elle n'était beige, et la seconde qu'elle avait posé sur sa jumelle commençait à prendre la même teinte. Elles serraient un bras pâle et humide aussi fort qu'un étau serrait une branche épaisse, sans espoir de la briser. Pourquoi était se qu'elle répétait sans cesse alors que ses yeux en pleurs cherchaient la route vers ceux de Hugues cachés sous ses cheveux mouillés. Le rebord de ses lèvres étaient pris de spasmes qu'elle redoutait. Il la tenait éloigné avec son autre bras, comme s'il était la seule barrière qui pouvait l'empêcher de le sauver. Elle forçait sur ce bras, lui qui s'enfonçait en-travers de sa poitrine tant il était faible. Le ciel étoilé glissait à travers la vitre, mais n'était pas preuve de la saison. La chaleur et l'eau chauffée du bain donnait à la scène une ambiance malsaine. La fenêtre était légèrement ouverte. Une brise froide y entrait et perçait la bulle de chaleur dans laquelle ils étaient enfermés. Il se mit à grogner, sans abandonner l'idée de la faire fuir. Le sang décidait du rythme de la scène et de sa couleur. Ce jour-là, il lui demanda de ne rien dire aux autres, ni à ses amis, ni à sa famille. Une promesse d'un ami à un autre. Elle accepta et sa vision disparut dans le même mouvement qu'elle eut autrefois en baissant la tête.

Le désespoir forma une dernière bulle du passé. Une soirée pendant le printemps. Un soleil mourant et amoureux habitait le ciel. L'appartement d'un ami semblait être le décor où elle s'était retrouvée. Elle était assise sur les genoux de son copain de l'époque. Un verre d'alcool était prisonnier de ses mains. Elle s'acharnait sur une crêpe. Son état l'empêchait clairement de la remplir de garniture et même de la plier. Elle voyait floue, les meubles et les personnes remplissant deux fois mieux leur rôle. Elle avait le droit à deux parts de gâteau, à deux nouvelles bières et à deux regards d'Hugues. Il était assis sur un canapé, une bouteille à la main et un filet d'alcool attaché à ses lèvres comme du miel entre les doigts d'un ours. Il la regardait fixement, les traits de son visage étrangement dur avec elle comme avec lui-même. Elle se rendit compte de son expression, de cette peine irrationnelle qui l'avait envahi. Pour lui remonter le moral et pour faire fuir les sombres idées qui prenaient le pouvoir dans son esprit, elle lui avait souri. Ce souvenir était sans doute le plus douloureux qui s'était attaché à sa mémoire. La sensation d'un bien être général, de la fin d'une génération, d'un espoir brisé et d'une amitié assumée formaient un mélange amer. Elle avait du mal à l'avaler. Lui qui l'avait fait ne semblait pas apprécier le goût que l'avenir lui promettait. Elle se leva et boita jusqu'à lui. Ses bras encadrèrent sa propre tête, prenant appuie sur les épaules du jeune homme. Elle sentit ses lèvres se crisper dans un sourire difficile. Bien que partagé, Hugues le fuyait comme s'il risquait de l'infecter. « Le présent est douloureux » Ses paroles étaient comme enfermées dans une bulle dont l'écho seul parvenait à ses oreilles. « Le futur le sera encore plus. Mais au final, c'est pour mon bien. »

Le désespoir se lassa de l'étrangler. Ces souvenirs arrêtèrent de nourrir sa peine. Elle avait terminé sa pitoyable performance. Ève était devant elle, le plateau en équilibre sur la paume de sa main ne menaçait même pas de tomber tant elle le tenait avec détermination. Ses doux sourcils étaient courbés. Ses yeux se posèrent sur Émile. Bien qu'ils n'étaient pas discrets, celui-ci était si occupé qui lui était impossible de s'offusquer de la pause qu'elle s'appropria. Elle s'assit aux côtés de la jeune demoiselle, le plateau gisait sur la table. Elle déposa ses bras sur ses épaules, ses mains se croisaient dans sa nuque, et avant qu'elle ne puisse effacer sa peine d'un mouvement de manche, elle était déjà collée contre sa poitrine, comme si elle possédait enfin une grande sœur.
« Combattre la peine est inutile ma belle. » Lui dit-elle d'un ton lourd.
Elle comprit se qu'elle voulait dire. Ses larmes s'abattirent sur ses joues comme si un barrage venait de céder et la plongeait dans un déferlement de tristesse. Contrairement à ce qu'elle aurait pu croire, cela lui fit le plus grand bien. Comme si cette eau impure était remplacée par une plus cristalline au fur et à mesure qu'elle mouillait la tenue de travail d’Ève. Un remède miracle que tant de gens ignorait la soignait de ses maux. Elle redressa doucement le visage, celui-ci déchiré par la peine et les larmes, mais elle trouva celui souriant et protecteur de la serveuse. Elle ne semblait ne plus vouloir la laisser. Le labeur l'accablait sans doute, et le poids de l'argent de la vie devait être trop lourd pour perdre ce travail. Pourtant, elle restait auprès d'elle. Elle soignait ses tourments comme la lumière faisait fuir l'ombre. Toutes cette brumes de souvenirs avait peur d'une sainte comme elle et s'évaporaient doucement dans une rosé de bonheur naissante. La jeune demoiselle plissa les yeux, comme pour supplier quelque chose. Elle ferma doucement ses doigts sur les vêtements de sa sauveuse. Elle voulait que cette douleur s'arrête, qu'elle disparaisse définitivement pour pouvoir pleinement apprécier la vie. Elle ne faisait que vivre par procuration au travers d'images du passé. Ce n'était pas la vie qu'elle désirait.
« Tu semble si fragile ma belle. » Recommença-t-elle. « Peut-être devrais-tu... »
« Plus jamais...Plus jamais je ne pleurerais ! »
« Crois-moi, cette promesse est d'une stupidité affligeante. »
Elle put entendre et sentir le rire amicale qu'elle lança à la suite de sa réponse. Son oreille de nouveau collée à sa poitrine était bercée par les battements de son cœur. Elle déposa sa main sur la nuque de la jeune femme, l'autre sur son épaule. Comme la grande sœur qu'elle n'avait jamais eu, elle lui raconta une vieille histoire pour l'apaiser.

Ève avait vécu une grande tragédie autrefois. Bien qu'elle ne se sentait pas proche de sa famille, elle ne pouvait les ignorer ou les abandonner. Cependant, dans un foyer aussi complexe et conservateur que celui de ses parents, elle ne s'était réellement attaché qu'à son oncle. Cet homme plus attaché à son camion qu'à ses valeurs lui avait fait découvrir pleins de choses merveilleuses. Ils avaient l'habitude de traîner dans les salles d'arcades avant les repas de familles. Il était un vrai spécialiste des jeux vidéos, surtout lorsqu'ils se présentaient à lui enfermé dans des bornes payantes. Il participait aux concours organisés par les salles, mais aussi par le cinéma. Tout les jeunes aimant leurs consoles le connaissaient. Il lui avait transmis cette fièvre du pixel, des scénarios improbables et des personnages extravagants. Une maladie qu'elle expérimenta de toutes les façons sur un jeu vidéo magnifique où une multitude de héros étaient empruntés à d'autres franchises. Un jeu plein de valeurs, de tensions, de sentiments qui lui faisait presque oublier quelle réalité était la bonne. Elle n'était plus une adolescente en route vers un avenir incertain, mais un jeune homme à la recherche de son meilleur ami perdu dans d'innombrables mondes. Elle resta bloquée à des étapes. Elle persévérait, quitte à y passer ses journées, attrapant tout les maux de tête et de doigts qui étaient nécessaires pour abattre les boss. Elle fut victorieuse, mais la victoire avait un goût amer. La fin d'un jeu qui l'avait amusée pendant un an, la fin d'une histoire si triste qu'elle restait au travers de sa gorge et la fin de son initiation. Tout ça perça son cœur. Malgré ses dix-sept ans, elle pleura. Elle fit la même stupide promesse que la jeune demoiselle, que plus jamais elle ne verserait de larme. Elle ne put la tenir. Cependant, le plus impactant fut que ses yeux restèrent sec à la mort de son oncle à cause de ce pacte. Cet homme qu'elle avait apprécié plus que son père.

« Quel égoïste je fais. Tu es là à perdre ton temps précieux à mes côtés pendant que je morfonds sur une pittoresque histoire. Quel monstre je suis à me tourmenter alors que mon histoire n'est rien à l'image de la tienne. »
« J'ai accepté cela voyons. J'ai accepté le fait que, Homme ou Femme, les larmes nous sont nécessaires. Je veux juste que tu fasse les bons choix, les bonnes promesses. Et pour ce qui est de mon temps, de mon argent, il est important mais jamais il ne devrait effacer l'amitié...Ou l'amour. »
Elle lui étira un petit sourire qu'elle rendit fièrement. Elle se détacha doucement de l'étreinte de son amie, hochant frénétiquement la tête. Elle regardait sa manche et se demandait s'il était bien raisonnable de s'en servir à nouveau. Puis elle sursauta. Une fraîcheur inattendue s'était imposée sur ses joues rouges et chaudes. Le contraste fut surprenant et agréable. Ces sensations furent doublées lorsqu'elle comprit qu'elles venaient du mouchoir en soie d’Ève. Elle prit congé peu après, rattrapée par les exigences d’Émile. Le pauvre, se disait la jeune demoiselle, il était débordé et elle lui volait la seule personne qui pouvait l'aider à soutenir les fondations de son affaire. Elle ne pouvait plus rester là, cette soirée était remplie de sentiments et il y en avait déjà trop pour que quelqu'un n'en rajoute. Elle prit ses affaires, salua ses amis et sortit du bar. Le premier pas qu'elle fit dans la salle du porte-manteau la frigorifia sur place. Il faisait froid dehors, la neige avait prit le dessus sur la température globale montante. Il était temps. Elle arrivait à s'infiltrer à l'intérieur, rampant au sol comme un mourant pendant que la chaleur de l'établissement l'écrasait. Plus que la neige, le vent semblait grognon ce soir. Quelque chose l'empêchait de s'endormir et cela le mettait dans une colère noire. Elle le sut lorsqu'un homme passa la porte. Il se protégeait au mieux avec sa grosse doudoune grise, son bonnet de la même couleur et ses mitaines effilochées. Son visage était à peine discernable sous ses couches de vêtements et ses yeux étaient invisibles derrière ses lunettes d'aviateur. Elle ne put que l'apercevoir jeter sa cigarette dans le cendrier prévu, juste à l'entrée. Elle fut surprise de sa réaction. Il la connaissait, vu comment il l'interpella.
« Je vous demande pardon, on se connaît ? »
« Un peu mon n'veu ! Mais je crains ne pas vous avoir fait bonne impression, malgré mes intentions louables. » Dit-il avant de retirer son attirail.
C'était l'un des trois garçons de la dernière fois, ces trois garçons qui l'avaient fixée une soirée entière presque. Sans son bonnet, sa chevelure châtain était portée par l’électricité statique vers le monde d'en-haut. Sans ses lunettes, ses yeux marrons ressortaient comme deux étoiles. Sans sa doudoune, il avait un sourire resplendissant. Elle fut surprise, et bien qu'il ne semblait pas lui vouloir grand mal, elle préféra tenter de l'ignorer. Elle lui avoua avoir à faire. Elle n'avait soit-disant pas le temps pour parler.
« Et bien j'espère vous revoir demain, ainsi je pourrais vous prouver que je ne suis pas un danger pour vous. »
Elle disparut. Malgré ces mots, elle revint le lendemain. Tôt, alors qu'il n'y avait qu’Émile pour s'occuper de l'endroit. Ainsi, elle put éviter sa place fétiche et parler avec lui. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas pu discuter avec lui. C'était toujours aussi agréable. C'était la seule chose qui lui importait et elle n'avait pas changé. Il était toujours aussi drôle, aussi poli et aussi respectueux dans sa manière de parler. Il était si agréable à écouter que même le tutoiement était une façon trop formelle d'échanger des paroles avec lui. Il lui posa quelques questions sur son passé, notamment pourquoi il la pourchassait de cette façon. Elle n'avait aucune réponse concrète à lui donner. Elle ne pouvait qu'avouer avoir la solitude en horreur. C'était un poison terrifiant qui faisait plus mal encore qu'une lame chauffée qu'on retournerait dans une plaie. Chaque fois qu'elle était seule, elle sentait un couteau perforer sa poitrine encore et encore. Elle ne voyait qu'une cascade de sang et de larmes couler sur sa peau. C'était quelque chose qu'elle fuyait. La seule existence qu'elle ne pouvait se résoudre à tolérer. Ce fut principalement pour cette raison qu'elle le remercia. Depuis le début, il était comme un pilier qui l'empêchait de s'écrouler. Ces moments de faiblesses se faufilaient jusqu'à elle à la manière de vils serpents quand il avait le dos tourner, mais la douleur aurait sans doute été encore plus insupportable s'il n'avait pas été là. Alors elle voulait le remercier. Elle sortit de son sac une petite boite blanche emballée dans un ruban rouge. Noël approchait bien vite, elle ne pouvait pas passer à côté de cet événement sans lui donner quelque chose. Il fut surpris, répéta plusieurs fois que ce n'était pas la peine, qu'il ne s'occupait pas d'elle pour être récompensé.
« Les héros ne se battent pas pour l'argent ou la gloire. Ils méritent quand même d'être récompensés. » Disait-elle.
Alors il ouvrit le présent. Doucement, calmement. Par ces gestes pleins d'hésitations et cette grâce du mouvement, il lui faisait comprendre qu'il était gêné.

C'était une nœud papillon rouge, éclatant. Il était parfait. Aucune trace d'une quelconque erreur ne ressortait de ses plis et de ses filaments. Il se tenait droit, fier, sa stature faisant fuir n'importe quelle petites défauts qui auraient pu se faire ressentir. Il était si noble que les lumières du bar faisaient ressortir ses paillettes comme celles des stars hollywoodiennes. Ces éclats magnifiques se reflétaient dans ses yeux. Il redevenait un enfant, excité à la vue d'un cadeau qu'il appréciait tant. Il retira le sien, noir comme l'ébène, et le remplaça par cette note d'espoir, cette note de couleur qui se fondait parfaitement bien dans son environnement. Il la remercia maintes fois. Ce n'était rien disait-elle. Ce n'était pas un présent énorme comme une voiture, ce n'était pas aussi apaisant qu'un voyage dans son pays d'origine ou aussi cher qu'un bijou en émeraude. Il n'y avait pas de quoi. Leur moment était entrecoupé de quelques clients qui venaient commander. Il se termina cependant lorsque Ève arriva. Elle déposa sa veste au porte-manteau et, en entrant, fit la remarque sur ce nouvel accessoire au cou de son patron. Il lui fit à son tour remarquer qu'elle était en retard. Le fait qu'elle n'avait pas la marque de ses chaussures sur les fesses étaient, en quelque sorte, son cadeau de Noël à lui. Ils ricanèrent tout deux. Elle se mit au travail. Le boulot, il y en avait toujours un peu, quoiqu'il se passe. Ce fut pour cela que, malgré son présent très apprécié, ils devaient mettre fin à leur discussion. Elle avait pourtant une dernière question. S'il était pressé, il n'aurait qu'à la ramener ce soir. Comme ça, elle aurait le temps de lui parler. Il accepta. Elle retrouva sa table habituelle et son verre de thé aux fruits rouges. Essayant de fuir la solitude, elle attendait patiemment la venu du jeune homme de la veille. L'idée d'un autre verre gratuit ne la dérangeait pas, loin de là, mais sa présence était plus attendue que son argent. Elle jouait avec ses doigts mécaniquement. Chaque fois qu'une ombre entrait dans le bar, elle levait la tête. Déçue de ne voir que des traits qu'elle ne connaissait pas, elle baissait la tête. Ce jeu perfide de construction, destruction, reconstruction était aussi malsain que de réanimer un mort pour le tuer à l'infini.
Finalement, le jeune adolescent rentra dans le bar. Elle eut du mal à le reconnaître. Il était tant vêtu qu'aucune parcelle de sa peau ne pouvait apprécier l'éclairage du bar. Il prit un temps monstre pour retirer un à un les habits qui lui faisaient une barrière parfaite contre le froid. Il n'avait qu'un pull par-dessus son tee-shirt lorsqu'il prit place devant l'adolescente. Il s'excusa de l'attente. Son travail lui prenait tout son temps libre. Être le garçon de table d'une chaîne de café très connue n'était pas de tout repos, en effet. Elle pouvait comprendre cette excuse. Elle ne lui en tenait pas rigueur. Alors qu'un thé aux fruits rouges et une pinte de bière venait décorer la table, elle ne perdit pas un seul instant pour réclamer ce pourquoi il l'avait faite languir. Elle ne cachait pas le froid qu'elle soufflait sur leur relation. Il en était fort triste, pensant qu'il pouvait récupérer la mauvaise impression qu'il avait fait. Il ne semblait ni courageux, ni déterminé. Les quelques mots qui s'échappèrent de ses lèvres rencontrèrent le mur de glace qui les séparait du cœur de la jeune demoiselle. Quand pas un espoir ne semblait émerger, il décida de partir. La plus grande douceur qu'il lui imposa fut sans doute de payer les deux consommations. Ce qu'il fit avant de disparaître dans ses habits, puis dans la tempête de neige qui frappait dehors.

La soirée ne se termina pas sur cette note froide, heureusement. En effet, Émile lui avait proposé de la ramener plus tôt. Le barman fit la fermeture. Le plus étrange fut qu'il refusa toutes aides qu'elle lui proposa. Il nettoya chaque verre, chaque table, chaque vitre seul, uniquement armé de son chiffon. Elle était assise sur un tabouret, profitant agréablement d'un verre gratuit pendant qu'il se tuait à la tâche. Son orgueil ou bien son amour pour l'établissement qu'il possédait l'éloignait sans cesse. Elle ne pouvait rien faire d'autre que boire un nouveau thé. Une petite musique rythmait la scène, un jazz étouffe par la qualité de la petite radio qui lui donnait vie. Les lampadaires s'étaient endormis lorsqu'il laissa enfin son chiffon faire une pause. Le bar sentait le produit ménagé et l'ombre qui y régnait à présent était plus apaisante qu'effrayante. La dernière ampoule encore luminescente était celle du garage. Elle soulignait les courbes de sa moto, si bien entretenue qu'elle faisait passer le reste de la pièce pour un bazar sans nom. Les casques aussi étaient nettoyés avec une précision chirurgicale. Ils étaient même entreposés correctement afin de ne pas les perdre. Elle reconnut le casque qu'il lui prêta. Il y avait encore quelques unes de ses mèches à l'intérieur.
« Ne raccompagnes-tu personne d'autre que moi ? » Demanda-t-elle alors.
« Et bien, crois le ou non, Ève est loin d'être sensible à mes charmes. De plus, mon établissement est ma seule âme-sœur, je ne l'échangerais contre aucune paire de jambes efféminées. »
Elle put le comprendre. Il ne semblait pas intéressé par l'amour, et cela devait sans doute lui éviter tant de maux, tant de souffrances. Ce fut sur ces pensées qu'elle le rejoignit sur la moto. Elle ouvrit l’œil, sa lumière naturelle effaçant celle de l'ampoule. Le garage ouvrit doucement la gueule et le moteur de l'engin envahit le garage, la ruelle, la ville entière.

Le lendemain, elle avait plus que jamais besoin d'un soutien pour affronter son infini tristesse. Hugues ne répondait toujours pas. Il faisait la carpe, le muet, le mort. L'idée qu'elle pouvait être une sangsue lui traversa l'esprit et le cœur. C'était une idée effroyable que de se résumer à ramper vers un ami. C'est dans cet état qu'elle pénétra de nouveau dans le bar. Émile était sa dernière source de bonheur, lui et la société qu'il gérait. Ce soir-là, il prouva à nouveau que sa réputation était fondée. Ses pieds avaient traîné, et pour la première fois elle arriva une heure après l'ouverture. Son cœur fut cependant bien vite en fête lorsqu'elle perçut la musique qui rythmait la vie du bar. Elle se dépêcha de déposer ses affaires sur le porte-manteau. L'idée de perdre encore plus de cette joie de vivre lui était insupportable. Ce qu'elle vit lui réchauffa le cœur aussi bien que les radiateurs réchauffa son corps. Émile était derrière le comptoir, les bras croisés, le regard porté avec bienveillance sur la scène. La radio n'avait jamais été aussi enthousiaste et les lumières montraient une excitation insoupçonnée dans leurs mouvements frénétiques. Les tables étaient habitées par quelques personnes essoufflées, mais la plupart des clients s'étaient transformés en danseurs adorés par les projecteurs. Elle reconnut Élise et Léon et même le jeune Owen profiter de cette petite soirée. Olivia aussi était là, assise à la place la plus dans le coin. Elle sirotait une grenadine, ses lèvres formant sans doute des phrases pour son majordome. Celui-ci était debout à côté et tenait la parapluie de madame la tête baissée avec une droiture exemplaire. Il n'y avait aucune trace d'Ève, alors elle se sentit poussée vers le barman. Celui-ci la remarqua bien assez tôt et la salua d'un grand sourire satisfait. Son cadeau de Noël était toujours accroché à son cou et cela procura à la jeune demoiselle une immense joie.
Émile avait organisé une petite soirée dansante ce soir-là. L'hiver avait de quoi pulvériser les cœurs, même ceux imperméables. Il ne connaissait que trop bien le sentiment que ça faisait, alors il proposait quelques réjouissance. Il était heureux, heureux de propager le bonheur. Rien ne le rendait plus ravi que de voir le succès de son événement. Ève avait passé la nuit entière à faire la pub, lui disait-il. Pourtant, il n'y avait aucune trace d'elle. Elle ne servait pas et dansait encore moins. De temps en temps, un client qui se reposait levait la main et appelait Émile pour une collation. Celui-ci se dépêchait de servir, désirant quitter son interlocutrice le moins possible. Malheureusement, il l'abandonna près d'une demi-heure à cause de l'intérêt que lui portait Olivia. Ce n'était pas grave pour elle, elle avait tout le temps de l'attendre. La musique, le jeu de lumières, les gens qui dansaient, tout ça lui suffisait comme film pour passer le temps. Ce temps qui était son meilleur ennemi. Elle ne pouvait l'atteindre et il était inconcevable qu'elle puisse le modifier. Elle voulait l'accélérer pour pouvoir rentrer chez elle plus vite. Pourtant, il savait ralentir dans les moments qu'elle appréciait. Il veillait sur elle quand elle discutait avec Émile, avec Ève. Le temps était un protagoniste très étrange.

Tout aussi étrange que le comportement du bassiste Owen lorsque celui-ci remarqua la jeune demoiselle seule au comptoir. Il s'éloigna de la fête et de son euphorie bienveillante. Il se risqua dans les terres tristes et dévastées qui entouraient la jeune demoiselle. Et pourtant, il fut comme le dernier rayon de soleil de ce terrain mort. Il avait un grand sourire, la main sur le cœur et un accent anglais excité lorsqu'il vint à elle. Il avait même quelques problèmes de grammaires. Elle le pensait être venu chercher quelques réconfort féminin, mais il était loin de ce genre de fin. Il la remercia simplement de s'être occupé de lui. C'était un homme très effrayé par la solitude et sa présence l'avait sauvé des griffes de celle-ci. A son tour, disait-il, de la sauver de cette terrible femme. C'est alors que le cœur de la demoiselle trébucha : Owen s'était levé et lui tendit la main. Il était l'heure des slows, et il l'invita à danser. Elle se laissa tenter. Elle savait à peine mettre un pied devant l'autre, mais elle aurait essayé n'importe quoi pour s'éloigner des démons qui la tourmentaient. Toute cette brume dans laquelle vivait encore Hugues devait disparaître. Elle devait la faire disparaître. C'est ainsi qu'elle accepta de danser.
Pas un seul sentiment qui s'emparait alors de son cœur ne semblait être l'ombre d'un regret. Il y eu du stress, de la joie, du bien-être. Elle se laissait rythmer par son cavalier, suivait les rondes qu'il faisait et était charmée par la musique. L'atmosphère autour d'elle devint si légère qu'elle eut l'impression de virevolter. Ils formaient comme une toupie qui avait refusé la gravité. Tout était si calme, si harmonieux que même danser sur un nuage n'aurait pas pu être aussi apaisant. Son cœur battait à l'unisson avec celui de son compagnon. Leur rythme était bien plus énergique que la musique, mais leur danse la suivait à la perfection. Elle croisa le regard d’Émile et son grand sourire heureux. A croire qu'il était le père de tout ceux qui venait boire ici. Elle était tant en sécurité qu'elle laissa son visage s'allonger sur l'épaule d'Owen. Cette soirée semblait finalement bien se passer. Le slow se termina sur une note paradisiaque dans laquelle elle se plongea corps et âme. Après le choc, elle se détacha de son cavalier avec un grand sourire et le remercia pour son invitation. Il était ravi que cela lui ait plu. Elle rejoignit Émile, toujours occupé avec son chiffon. Il ne semblait pas avoir envie de participer à son propre événement. Plus que tout, il lui proposa un verre. Il voulait lui servir quelque chose de plus corsé cette fois-ci. Elle refusa humblement. Sans alcool, la fête était plus folle. Et elle le fut. Chaque musique qui passait savait rajouter sa touche personnelle à l'atmosphère qui y régnait. Tout était si joyeux, si parfait et si rythmé que cette soirée effaçait toutes les autres aisément.

La soirée sembla courte. L'euphorie, les cris, les musiques, la danse, tout ces beaux moments passaient si vite. Lorsqu'elle profitait, le soucis du temps qui passe n'affectait pas son esprit. Elle n'avait plus besoin de compter les minutes qui restaient avant de rentrer chez elle. Elle avait simplement besoin de danser, de crier et de participer. Cela la libérait. Elle rentra chez elle par ses propres moyens ce soir-là, avec l'esprit apaisé. Ce bonheur retrouvé disparut le lendemain, sa routine et sa nostalgie reprenant le trône qu'elle avait volé, mais les quelques souvenirs qu'elle gardait de la soirée lui suffisait pour se donner du courage. Le courage de passer de nouveau les portes du bar. Son patron était toujours au comptoirs. Il avait enfin abandonné son chiffon. A vrai dire, il avait même tourné le dos au côté lisse de sa personnalité. Il était en train de danser, faisant bouger le corps d'une demoiselle avec lui. Les quelques traits qu'elle reconnut lui décrivit Olivia. Elle était cachée par la taille du barman. Ce qui l'avait mise sur la piste était l'homme en costume assis à une table. Elle tenta de s'approcher, mais la plus belle des lumières fit son apparition. Les quelques marches qu'elle eut à descendre étaient de terribles obstacles pour sa magnifique robe à paillettes. Cependant, elle les esquiva avec facilité. Ève n'avait jamais paru plus belle qu'en cette début de soirée. C'était une créature qu'on ne voyait qu'une fois dans une vie. Elle avait sorti les plus belles parures et son sourire était certainement le plus beau de ses bijoux. Elle était heureuse, doublement lorsque ses yeux se déposèrent sur elle.
« Que quelqu'un m'explique. » Commença-t-elle avec un petit rire retenu. « Je ne disparais qu'une soirée et voilà que mes amis se sont transformés en stars de cinéma. »
Émile la remarqua enfin et la salua comme il se devait. Il était toujours aussi présentable, même s'il s'était adonné à une passion quelques secondes auparavant.
« Il est vrai que tu n'étais pas dans la confidence. » Annonça-t-il alors. « Notre chère Ève quitte cet havre de paix pour le monde des projecteurs. »
« Pardon ? » S'exclama-t-elle alors d'une joie paresseuse.

Sa timidité jouait en sa faveur, elle qui n'osait même plus regarder l'étudiante maintenant que son avenir avait été révélé. Une honte glorieuse s'emparait d'elle tandis que ses lèvres avouaient avoir cherché la réussite dans le dos de tous. Là où Émile et les autres étaient fiers d'elle, son avis divergeait et la jugeait trop fortement. C'était comme si elle trahissait chacune des lois qu'elle s'était imposées. Ainsi, elle fut agréablement surprise de voir le sourire harmonieux sur le visage de sa jeune interlocutrice. Elle fut d'autant plus réchauffée par ses bras lorsqu'elle la prit dans ses bras, laissant ce soupir épais apaiser la pompe de sa poitrine. Elle put sentir les ongles d'Ève se crisper dans son dos, regrettant encore certains temps tortueux. Elle se laissa impressionner par l'expression sur son visage lorsqu'elles se séparèrent, et peu importait l'avis des autres.
« Ève écrit de belles paroles, mais elle n'a jamais eu le cran de les envoyer à quelqu'un. » Reprit alors Émile que ces accolades avait ému. « J'ai jouer de mes contacts et la voilà partie pour un entretien d'embauche dans un grand label. »
Émile, dans sa voix comme dans sa posture, semblait absorber tout l'orgueil qu'Ève n'arrivait pas à exprimer. Olivia et son garde du corps étaient proches, leurs oreilles captant l'histoire qu'ils trouvaient belle. La noble fille sut se faire une place entre tout ces nouveaux adultes, ce sourire qu'elle ne connaissait pas caché sous une façade sérieuse. Elle avait les mots d'une mère, ceux qui dissipaient les illusions sans pour autant amputer la détermination du cœur. Tout ce qu'elle disait était accepté d'un mouvement de tête par son protecteur et la tasse de chocolat entre ses doigts. Tout deux surent lui inspirer une prudence, elle apprit à canaliser cette excitation pour esquiver les obstacles et les traquenards. Elle sortit du bar plus forte encore, le bras solidement attaché à celui si galant du barman. Le manque de gérant ne les arrêtait pas et ils sortaient tout les deux sous le vent et la neige. Tout faisait penser à un adieu, tout rappelait l'atmosphère déchirante d'un au revoir qu'on savait définitif. De l'autre côté de la vitre, on les voyait discuter et leurs yeux se noyaient sous une pluie torrentielle. Ceux d'Ève furent les plus faibles, et sa lourde tête s'écrasa sur le torse d'Émile que même les bras se retrouvaient démunis.
Elle fixait la scène comme si elle regardait un énième film d'amour, charmée par une magie étrange qui ressortait de ces deux personnages tristes et heureux. Elle restait silencieuse de peur de gâcher une telle mise en scène, se tête formait les notes qui auraient pu se jouer dans leurs dos. Olivia avait disparu de cette pièce touchante, retrouvant la sérénité de la piste de danse. Le gorille en costume qui la suivait n'eut pas cette idée, préférant devenir le voisin de cette jeune femme inspirée par la séparation qui se jouait. Il lui tendit sa tasse fumante dans un geste grotesque. Un geste qu'il ne contrôlait pas. Elle haussa les sourcils, elle qui ne s'attendait à rien d'un tel homme. Elle accepta une gorgée de ce lait adorable. C'était une agréable chaleur qui coula dans sa gorge, plus voluptueuse que celle du café, comme si une touche de féminité avait calmé l'amertume de l'arôme. Elle ne le remercia que d'un sourire pour laisser leurs regards se poser à nouveau sur les deux silhouettes maintenant éloignées.

Le bar avait ce pouvoir incroyable de se changer en muraille. Une muraille métaphorique qui protégeait son propriétaire des problèmes liés aux émotions. Une qualité sur laquelle comptait Émile, une qualité qui lui donnait cette prestance de l'homme qu'on pouvait croire. Il ne l'avait jamais autant protégé que ce soir-là. Il parlait de ses sentiments avec une aisance qui attisa la jalousie de son invitée, racontant sa peine et sa solitude sans pourtant la ressentir sur son visage. Les sourcils courbés qui étiraient les plis de son visage ou les froncements qui les écrasaient ne l'affectaient même pas. Il avait toujours son torchon, son petit sourire, sa confiance en lui alors qu'il avouait être seul face au vide de son bar. Il disait même ne pas pouvoir le fermer sans la ramener en moto, lui qui n'avait pas la force de chercher une autre serveuse.
« Je suis désolé. »
« Pourquoi dis-tu ça ? »
« Je connais le mal qui te ronge, je sais aussi que tu comptais sur moi pour l'effacer. Je ne dois pas être d'une grande aide aujourd'hui. J'ai fais ce qui était le mieux pour elle, mais mon esprit égoïste me dit que j'aurais été plus heureux si je l'avais gardée. »
Des paroles que jamais elle n'aurait voulu entendre entre ses lèvres. Le confort de sa main sur la sienne semblait le surprendre mais pas le gêner. Elle le regardait sans lui en vouloir, trouvant au contraire ses excuses inutiles. Elle n'avait rien à lui reprocher, au contraire. Ils se regardèrent un moment alors qu'elle retrouvait le sourire. Un sincère, débarrassé de l'ombre de Hugues. Elle lui demanda s'il voulait qu'elle reste ici ce soir. Les appartements étaient toujours aussi vides et elle ne voyait aucune problèmes à y dormir. Tout y était confortable et même l'air qui flottait entre le sol et le plafond était agréable à respirer. L'entendre accepter la remplit de joie, une façade qu'elle cachait tout de même derrière son visage timide. Elle avait proposé son soutien sans comprendre qu'il serait d'une piètre utilité. Elle était tout aussi bouleversée que lui par le départ de la serveuse. Elle avait eu le temps de la connaître, de l'apprécier et de l'adopter. Chaque personne qui disparaissait dans la vie d'un adolescent laissait une épaisse emprunte en lui. Ils purent en parler le soir venu, l'un à côté de l'autre sur le même lit.

« Reste avec moi. » Demanda-t-il alors que leur discussion s'était éteinte. « Travailles ici, entre ces murs pour qu'ils ne pourrissent jamais. »
« Émile, Je...C'est si soudain, j'ai... »
« Je comprendrais si tu refuses. Mais prends le temps d'y réfléchir je t'en prie. »
Et le son muet de la pièce rythma humblement sa réflexion. Elle ne pouvait s'empêcher de le fixer, comme happée par la proposition qu'il faisait et les conséquences que ça entraînait. Il avait beau lui promettre une chambre sans frais et une sécurité qu'elle ne pouvait trouver autre part, rien ne faisait pencher la balance de ce terrible dilemme. Sa présence n'aidait pas à la réflexion, alors il disparut calmement dans le couloir. Il avait été sincère, et le sourire assuré sur son visage lui rappelait sans gêne.
La pénombre lui donnait des sueurs froides, comme si se retrouver seule venait de la faire paniquer. Elle se leva violemment, son cœur palpitait jusque dans ses doigts et les mouvements qu'elle faisait ne l'aidait pas à le calmer. Elle n'avait jamais été dans un tel état, enragé contre elle-même comme contre le monde. Elle jeta ses bras contre un meuble, mais se retint de le renverser par la simple réaction imaginaire de son propriétaire. Ses bras se renfermèrent contre sa tête, essayant de condamner ses idées de libertés douloureuses. Il y avait encore tant de chose qui la retenait à son passé, mais son futur lui tendait les mains avec la peau la plus chaleureuse qu'elle aurait pu imaginer. Elle voulut s'y abandonner, mais une dernière main s'était refermée sur sa manche. Une main ferme, tremblante quelque peu de sa mort approchant. Fébrilement, déchirée par les fantômes du passé et ceux du futur, elle tira son téléphone hors de sa poche. Son pouce arrivait à peine à répondre à ses ordres, secoué par la pompe de sa poitrine. Elle qui perdait le contrôle et qui entraînait dans sa boucle infernale la moindre parcelle de son corps. Son imagination créait déjà des scénarios insensés sur toutes ces questions alors que ses sentiments vagabondaient dans toute la pièce. Elle se souvenait du matin nostalgique qu'elle avait passé ici, mais aussi de l'incroyable présence d'Émile. Elle ressentait encore la douleur de la solitude, mais le soutien de toutes les personnes qu'elle avait rencontré. Une dernière chaleur voulait une attention, une dernière chaleur la poussa à appuyer sur ce bouton vert. Alors que la tonalité résonnait contre son oreille, elle revenait sur sa vie sans prendre la peine d'avoir un peu de recule. C'était comme si elle avait le choix de vie ou de mort, et qu'elle n'arrivait pas à se décider.

« C'est le répondeur le plus mét-t-t-taaaaaal du quartier ! Hugues à votre service, laissez un message. »
Elle raccrocha. Elle avait besoin de lui parler, de lui poser des questions et d'avoir son point de vue. Il était si bon conseiller, elle était si perdue sans lui. Elle tenta une seconde fois, mais le courage l'avait quittée encore une fois. Elle laissa le haut-parleur lui raconter la mauvaise nouvelle. Cette même voix qui répétait les mots qu'elle détestait le plus. Elle hurla sur son écran illuminé, elle cria du plus profond de ses tripes que c'est lui dont elle avait besoin, pas d'une phrase bête qu'il avait enregistré. Cette fois-ci, il n'y avait pas de larmes pour l'accompagner dans son tango de l'enfer. Sa respiration était saccadée, mais rien ne venait faire obstacle au fond de sa gorge. Elle voulait essayer une troisième fois. Elle appuya sur ce fichu bouton vert et la tonalité revint de nouveau planter ses griffes sur sa peau. Son cri cependant avait attiré l'attention du second habitant. Il avait la serviette bleu autour du cou, son torse nu était éclairé par la lumière qui venait du couloir mais il avait encore son pantalon. Il était parti pour la douche, mais la tourmente de la demoiselle l'avait touché. Elle se redressa doucement pour lui sourire, lui qui était si agréable avec elle. Elle ne le regardait pas avec envie, ils n'étaient pas charmés par l'autre. Leur relation professionnelle était juste des plus appréciables. Et c'était une qualité qu'elle ne trouvait nulle part ailleurs. Elle le prit dans ses bras, mendiant son attention et son soutien alors que les cris indistincts du téléphone résonnaient encore dans la pièce.
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