Le Petit Livre
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 La faute à Gabrielle Empty La faute à Gabrielle

Dim 23 Sep - 23:23
Jour 5
Jason est debout devant la porte de l'appartement. La pluie malmène sa crête, elle emporte dans le torrent qu'elle crée sur ses vêtements tout le sang et la crasse qui s'étaient accrochés à lui. Le bâtiment est fermé et la femme qui se change au dernier étage de celui-ci ne sait même pas qu'il est ici. Il a son téléphone dans une main et une batte de base-ball ensanglantée dans l'autre. La tête baissée, elle subit la pluie et crache quelques gouttes de sang sur le pavé intacte de la ruelle bien entretenue. Ses yeux bleus fixent la fenêtre avec insistance depuis le trottoir, n'attendant rien d'autre que la présence douloureuse de la pluie. Son visage est plein d’ecchymose, des bleus et de blessures qui le déforment sans retenue. Pourtant, ces futurs cicatrices sont en harmonie avec le reste de sa tenue. Il est seul, la nuit recouvrant de son voile mélancolique les lumières des réverbères qui rendent futile la lueur des étoiles. Il est si tard que pas une voiture n'ose s'approcher et que tous les passants se sont volatilisés, même les plus alcooliques, vers des couverts plus accueillants que le pallier d'un bâtiment pour gens bien-nés. Son œil au beurre-noir commence à lui brûler le visage, alors il essaye de faire partir la douleur avec une cigarette qu'il tire de sa veste en cuir. Son briquet respire difficilement, faisant disparaître les flammes fraîchement nées avant qu'il puisse allumer son poison. Finalement, il abandonne l'idée de fumer, gardant pourtant la cigarette au coin des lèvres pour reprendre son jeu de voyeur. Il n'y a personne autour pour le réprimander et la magnifique femme qu'il admire ne se rend pas compte de son regard. Elle n'imagine sans doute pas une seule seconde de l'admiration qu'il a pour elle. Il est comme un fantôme, incapable d'adresser la parole à celle qu'il aime, séparés par un monde d'incompréhensions. Il la voit retirer sa chemise bleue immonde et son pantalon trop serré. Il ne détourne pas son regard de sa peau blanche, attendant que son soutien-gorge tombe de sa poitrine.
« -Jason qu'est-ce que tu branles ?! » Monte une voix au loin, près de la place où s'ouvre la ruelle.
Il tourne lentement la tête vers la source du bruit. Un type avec une capuche lui fonce dessus, suivi de plusieurs autres personnes fuyant quelques policiers énervés. Son interlocuteur le dépasse, il tente de lui faire profiter de son élan en s'accrochant à sa veste, mais il oublie très vite en le sentant forcer pour rester debout. Il continue alors sa fuite, lui et les autres, alors que Jason fait face à la vague de poulet seul avec sa batte.

« -Léa ?! » S'écrit alors James en sortant du lit conjugale. « Léa, ça va ? »
Sa question est stupide, les bruits de régurgitation remontent de la salle de bain pour lui répondre. Il marche sur ses pas, retrouvant la petite brune avachi sur la cuvette. Son visage est dissimulé derrière un voile ébène et ses lunettes menacent de tomber du bord de son petit nez mignon. Torse-nu, il s'approche d'elle pour s'inquiéter. Il lui propose pleins de solutions, toutes refusées de manière bourrue par sa compagne. Il l'aide à tenir ses cheveux loin des toilettes, assis à ses côtés, adossé à la baignoire. Il entend l'orage s'énerver au-dehors, lançant des cordes d'eaux s'écraser sur les vitres de l'appartement. Il voit les éclairs déchirer le ciel et le tonnerre faire vibrer les fondements de la ville. Il se rappelle de la bière entamée qui gît sur la table basse du salon et sent les élans alcooliques de sa compagnes jusqu'ici. Il fait rapidement le lien : Elle s'est saoulée au point de vomir pour se protéger de l'orage et de la peur qu'elle en a. Il reste à ses côtés, nullement effrayé de salir son jean tout neuf pour elle. Il lui apporte un verre d'eau, l'aide à se brosser les dents et prend sa douche avec elle, il la sèche et l'enrobe d'une serviette avant de la mener jusqu'au canapé. Il allume même un feu dans la cheminée pour la réchauffer. Elle a beau le remercier, il n'arrive pas à imaginer la culpabilité qui l'envahie. Alors il s'empare de sa guitare et joue quelques notes pour lui remonter le moral. Un petit sourire commence à apparaître sur son visage alors que les notes résonnent maintenant dans l'appartement. La chaleur de l'âtre fait comme la musique, elle se propage vite et calme rapidement la douleur de la jeune névrosée. L'orage fait encore rage dehors et malmène les délinquants qui y sont restés. Mais même ici, éloignés de tout danger, ils ressentent sa présence. Quelques fois, la guitare n'est pas suffisant et elle se jette dans ses bras pour s'y réconforter.

Jour 4
« -No ! » Chanta Lucille avant de laisser un petit blanc avant de reprendre. « It's not what we meant to say ! »
Elle dansait en même tant, debout devant le lit où gisait Jason. La musique venait d'une petite enceinte minable au fond de la pièce délabrée où ils se trouvaient. Les murs étaient tagués, décorés de posters déchirés où d'affiches publicitaires détournées à coup de stylos. Des insultes étaient écrites sur les murs et des mégots gisait ça et là, dans la chambre et plus loin encore. Des voix montaient de derrière la porte, mais elles ne faisaient pas face à la musique qui rythmait les hanches de la serveuse. Ses courts cheveux châtains ondulaient de la même façon que ses fesses fermes et ses yeux marrons étaient dissimulés derrière ses paupières entrouvertes. Elle bougeait pour le garçon couché dans le lit. Nu, une clope au bec, ses yeux pervers dévisageaient les doigts agiles de sa danseuse déboutonner sa robe délicatement. Elle osa se mettre sur le lit, continuant sa danse dénudée en s'emparant de la cigarette du voyeur. Une pluie de cendre s'écrasait sur eux comme celle qui frappait dehors alors que le soleil menaçait de se coucher. Une fois nue, fumant ce qui restait de tabac, elle s'assit sur lui et s'empara de sa main pour le forcer à caresser sa peau nue. Il était plus qu'enclin à suivre le geste, un petit sourire en coin apparaissait même à chaque taquineries qu'elle lui faisait. Mais alors qu'ils étaient prêts à passer à la partie sérieuse du jeu, quelqu'un défonça la porte d'un coup de pied. Ni lui ni elle eurent peur en voyant Alphonse débarquer dans la chambre.
« -Jason ! Les flics viennent foutre la merde dans la manif' ! »
Lucille laissa l'homme se rhabiller avec un grand sourire. Elle était heureuse de le voir prendre les armes. Elle ne le suivit pas, attendant qu'il ait quitté le squat avant de retrouver ses habit. Il descendit les marches quatre par quatre et enfonça la porte pour sortir. Les rues étaient agitées, humidifiées par la pluie alors que la nuit tombait bientôt. Le crépuscule resplendissait sous les slogans révolutionnaires des manifestants. Les murs avaient été dégradés par d'incroyables dessins et par d'autres inscriptions moins artistiques. Des prospectus étaient collés partout et les traces de passages d'un immense groupe jonchaient les ruelles. Ils s'approchaient d'une grande place où les forces de l'ordre avaient déjà levé leurs boucliers. Alphonse serra son pied-de-biche, souleva son bandana sur son nez et se précipita vers eux. Il fut suivi de plusieurs autres personnes. Jason n'avait pas besoin de cagoule. La batte à la main, il fut en première ligne pour se jeter sur les flics. L'affrontement commença, rythmé cette fois-ci par le cri de l'officier en chef et les bruits de matraques aplatissant les os des casseurs. Il aurait aimé dire que c'était un combat acharné, mais la police leur roula dessus comme un camion écraserait une moto.

« -Quoi ? Le projet de Yannis ? Donnez-lui un budget de trois-mille euros par mois pour commencer. S'il fait du bon boulot, on l'augmentera. Et signez pour l'adaptation de Sherwood au grand écran. Je le sens bien. »
Il traversait les bureaux, le téléphone à la main. Il ne restait plus grand monde dans les locaux, juste une petite secrétaire à lunettes qui faisait des heures supplémentaires pour faire plaisir au patron. Lui, il était sur le départ. Ses yeux bleus ne la ratèrent pas et il dut la supplier pour qu'elle parte rejoindre son connard de mari. Incroyablement charismatique dans son costume trois pièce sorti spécialement pour un rendez-vous avec les actionnaires, elle ne put lui résister longtemps. Il avait une sacoche rempli de papier, sans doute des contrats fraîchement signés. Le soleil se couchait doucement, propageant dans le ciel ses rayons roses ou orangées qui finissaient de toute façon par se refléter dans les vitres du grand bâtiment. À ses pieds, protégé de la pluie par le préau de l'accueil, il attendait que Léa vienne le chercher. Dans sa belle Ford Mustang, sans doute la trouvera-t-il plus belle que la veille comme à son habitude. En l'attendant, il sortit quelques papiers. L'un des dossiers ne contenaient que des ébauches pleines de fautes d'un roman qu'il avait écris. C'était une histoire loufoque à propos d'adolescents et de professeurs, une guerre entre classes qui tournaient en dérision l'habitude qu'avait l'éducation nationale ne comparer les élèves. Il rectifiait ses erreurs avec un crayon de papier jusqu'à ce que sa compagne arrive enfin. Une fois dans la voiture, il se demandait ce qu'il allait faire à manger, ce qu'il allait faire pour lui faire plaisir.

Jour 3
« -Non, je dis juste que ton pote avait peut-être raison. »
« -Comment ça ? »
« -Bah c'est un peu de la faute de c'te nana si tu traînes avec nous maintenant. »
Jason lâcha sa bombe à peinture presque immédiatement pour venir imprimer ses phalanges sur la tronche d'Alphonse. Lorsque le corps du délinquant heurta le sol, les autres tagueurs se précipitèrent sur eux pour les séparer. Le soleil commençait à peine à décliner, transformant la belle lueur d'après-midi en des rayons plus hésitants et plus colorés. La bande de six étaient en train de dessiner des fresques sur la façade des immeubles d'une ruelle avant que la bagarre n'explose. C'était habituelle dans la bande. La seule chose qui changeait c'était que Jason n'avait pas l'habitude de partir au quart de tour. Là, il n'avait pas marché, il avait couru. Et lorsque les garçons furent enfin séparés, ils avaient tous les deux une sale tronche. Il se libéra d'un mouvement d'épaule pour chercher à s'éloigner du groupe. Il laissa son majeur levé à l'adresse de son opposant qui n'hésita pas à faire de même. Mais avant que l'ombre de l'anonymat l'engloutisse, une voix le retint un peu plus longtemps dans la ruelle.
« -Tu te casses dès que j'arrive maintenant ? »
« -L-Lucille ? J'ai bien cru ne plus te revoir. » Répondit-il avec le grand sourire.
Et la belle brune rebelle s'approcha dans une robe bleue à pois. Le genre de vêtement qu'elle n'avait pas l'habitude de porter et qui la rendait plus resplendissante encore. Elle avança d'un pas accéléré et n'eut pas peur de se jeter dans ses bras. Ça faisait si longtemps qu'ils ne s'étaient pas vus que son absence avait laissé une insupportable envie de squatter ses bras. Et c'est ce qu'elle fit, n'hésitant pas à renforcer leur étreinte dès qu'elle sentait son corps envier quelques caresses.
« -J'ai entendu que tu bossais pour James. » Reprit-il finalement après un léger silence.
« -C'est vrai. Mais ça m'empêche pas de venir te voir aussi. T'as une sale mine. »
« -Normal, j'viens de me foutre sur la gueule. »
Et sa façon de répondre, comme si ça devait être évident, lui arracha un rire qui la mena tout droit dans son filet. Elle avait un charme certain sur lui, mais c'était bien sa façon d'agir avec elle qui l'amenait tout le temps dans des situations qu'elle ne savait jamais résoudre.

Ils mangeaient l'un à côté de l'autre sur le bord du pont qui survolait le ruisseau qui traversait la vieille ville. Malgré leurs métiers très différents, ils trouvaient toujours le moyen de déjeuner ensemble. La routine, ce n'était pas ce qui leur plaisait le plus. Mais celle de l'après-midi était une sorte de rituel duquel ils n'étaient pas épargnés. Il prenait un taboulé pour chaque repas mais oubliait sans cesse ses couverts. Elle lui prêtait les siens une fois qu'elle avait fini sa salade. Et une fois qu'ils finissaient leurs assiettes, ils prenaient toujours une dizaine de minutes pour se raconter des blagues. Drôles, nulles, vues sur internet ou racontées au bureau, c'était un passe-temps qui les rapprochait beaucoup. Quelque fois, ça n'allait pas plus haut que deux œufs dans une poêle. Mais il leur arrivait d'avoir des fous rires surtout lorsqu'ils se rappelaient les moments stupides partagés avec leurs amis. Ce jour-là, quand James eut la malchance de parler des années post-bac, Léa en profita pour lui glisser une question gênante après le fou rire qui les avait traversé :
« -Tu les as prévenus ? Pour la cérémonie ? »
« -J'ai envoyé quelques lettres oui. »
« -James... » Se plaignit-elle tristement. Elle trouva la force de passer sa main sur sa joue. « Je sais que ton livre est important pour toi mais...Notre mariage devrait l'être plus non ? »
Elle n'avait pas posé cette question pour le forcer, mais plus pour demander du réconfort. Elle avait besoin d'être rassurée, elle qui n'en avait pas voulu à la base se sentait maintenant très vulnérable. Heureusement, ses bras étaient toujours aussi accueillants et son cœur la réchauffait toujours autant. À croire que son amour pour elle ne s'éteignait pas sous le souffle du vent. Ça fit couler une larme sur sa joue, une pleure qu'il ne comprit pas.
« -Laisse va. » Répondit-elle finalement après un silence. « Je pleure parce que je suis heureuse, gros nigaud. »


Jour 2
Il lui explosa le nez d'un seul coup de poing bien placé. Jason n'était pas forcément très fort ni très robuste. Il n'avait pas la carrure d'un combattant et était même plutôt timide lors des affrontements. Mais rien que de le voir, ça lui avait inspiré une puissante attaque surprise qu'il n'avait pas retenu. Son cœur s'emballait, n'arrivant pas à croire ce qu'il venait de faire. Il n'était que midi et il avait déjà commencé les hostilités. Son groupe le regardait, quelques mètres derrière alors qu'une demoiselle aux yeux verts brillant comme des émeraudes s'était jetée sur le blessé. Du sang tapissait maintenant le dos de sa main et quelques gouttes étaient tombées sur le sol. Les rues, en pleines ébullitions, faisaient monter des cris de révoltes alors que des manifestants déambulaient dans les rues depuis tôt le matin. Ils se soulevaient contre un renforcement des forces de l'ordre. C'était une marche paisible, mais les gens comme Jason et sa bande étaient là pour faire en sorte que ça ne le reste pas longtemps. Partis pour leur croisade chaotique, ils avaient croisé ces deux jeunes gens. Éva était une connaissance du délinquant. Mais quand ses lèvres hypnotisèrent Jason pour lui présenter son compagnon, il ne retint pas ses coups. Il reçut le retour d'un bâton. Encore une droite qui lui arracha une dent. Les deux garçons se frappaient sans retenue alors qu' Éva essayait de les séparer. Elle crut recevoir de l'aide en voyant Alphonse s'approcher, mais elle comprit bien vite qu'il n'était venu que pour avoir sa part de violence aussi.
« -Alphonse ! » S'écria Jason.
« -Jason ! » S'écria Éva
« -Enculé ! » S'écria alors l'homme qui frappait Jason.
Heureusement, la bande de Jason intervint, non pas pour y rajouter une couche cette fois. Les jeunes se dispersèrent quand ils comprirent que la manifestation s'approchait d'eux. Seuls Jason et Éva restèrent plantés comme des poteaux électriques.
« -Mais t'es complètement malade ! » S'écria-t-elle.
« -Je t'emmerde ! » Rétorqua-t-il.

La pause du midi, il la prenait généralement quelques heures plus tard. Tout d'abord parce que c'était à ce moment que Léa sortait du travail et qu'il pouvait passer un peu de temps avec elle. Mais surtout parce qu'il avait beaucoup de travaille et avait toujours la tête bien enfoncée dedans. Que ce soit pour gérer son studio de production, son entreprise de jeux-vidéos ou même l'édition de son roman, il avait toujours quelque chose à faire une fois dans les locaux. Il s'arrêtait tout le temps au bureau de Lucille lorsqu'il passait devant, s'assurant que son ami d'enfance ne dépérissait pas comme une plante sous le soleil de Juillet.
« -Hey ! James, ça va ? »
« -Bah j'ai pas à me plaindre. Et toi ? Ça fait pas bizarre de bosser pour moi ? »
« -J'aime me dire que c'est un service que j'te rends. Tu m'as dépan' un paquet de fois à l'époque. »
Cette réflexion le faisait toujours rire, et ce jour là ne fut pas une exception. Il lui tapota la main avant de s'éloigner, mais sa douce voix de sœur très très éloignée le retint quelques secondes de plus. Ce n'était pas raisonnable, mais il voulait passer un peu de temps avec elle aussi.
« -Tu as entendu parler de cette histoire de réforme ? Ça fait froid dans le dos quand même. Je comprends pas pourquoi les gens ne font rien. »
« -Oh tu sais, je pense que mettre son nez là-dedans c'est s'attirer des ennuis. Je dis pas qu'il faut rien faire, mais prendre les armes ? Est-ce vraiment une solution ? Je sais pas. »
Il n'avait pas tant changé que ça. Elle ne savait pas si c'était de la sagesse ou une flemme incroyable qui se cachait derrière ces phrases, mais elle l'imaginait bien dire ça même cinq ans en arrière, avant qu'il casse le nez de Jason pour venger la dent qu'il lui avait fait perdre. Il s'éloigna enfin d'elle, retrouvant le confort de son bureau de PDG. Il s'assit sur son fauteuil et ouvrit son ordinateur. Il avait plein de rendez-vous à fixer, de contrats à signer et attendait même un grand du jeux-vidéo japonais dans quelques minutes ici-même. Il était stressé, une goutte de sueur coulant sur sa tempe. Heureusement, alors que le convoie de japonais sortait de l’ascenseur, il reçut une photo de Léa en pleine grimace au milieu de son travail. Ça lui inspira un sourire.


Jour 1
Il se réveilla doucement de sa lourde soirée. Il avait dormi quoi, quelques heures à peine et la matinée avait commencé depuis quelques temps déjà. Il n'était pas si tard, c'était l'heure à laquelle les gens partaient travailler. C'était inhabituel pour lui de se lever si tard, surtout lorsqu'il dormait dans un lit plus confortable que celui du squat. L'appartement était propre, rangé, mais beaucoup trop étroit par quelqu'un de sa taille. Non, il était presque fait pour un nain. Il n'était pas minable, loin de là. Il était même plutôt mignon, si tant donné qu'on était sensible à son charme. Mais disons que sa propriétaire n'était pas enclin à le garder ici plus longtemps. Elle avait un visage déchiré entre la colère et la tristesse. Elle tenait sa veste en cuir et la batte de base-ball qu'il avait laissé glisser sous le lit pendant le coite s'était retrouvée adossée à la porte. Dès le réveil, ça sonnait déjà mal pour lui. Mais il ne réalisa l’ampleur de la situation qu'au moment où elle écrasa sa veste contre son torse nu. Elle ne savait pas vraiment ce qu'elle voulait, ça se voyait dans ses yeux humides mais déchirés par son rictus de colère. Elle ne voulait pas ça, mais elle ne pouvait pas vivre avec lui. Alors elle lui ordonna simplement de partir. Il prit le temps de mettre son caleçon, de se brosser les dents et de s'habiller. Il alla lentement, faisant des gestes provocateurs pour la forcer à hurler. Mais rien. Même lui avait abandonné l'idée de se battre pour elle. Ce fut ce qui lui fit le plus mal.
« -Tu m'engueules même pas ? » S'étonna-t-elle alors qu'il avait la main sur la poignée. « Tu pourrais faire des efforts, essayer de me faire changer d'avis.  »
« -À quoi bon ? » Répondit-il. « C'est pas moi qui me casse, c'est toi qui me fous à la porte. »
« -C'est compliqué ok ?! »
« -Ouais. Si c'était simple, ça serait trop facile hein ? J'ai assez souffert. Si tu me cherches, je vais casser du flics. »
Puis il sortit, la batte sur l'épaule, laissant Éva... À vrai dire, personne ne sut dans quel état elle était une fois qu'il fut parti.

Il était parti tôt, laissant Léa dormir dans le grand lit double qu'ils venaient d'acheter. Elle avait trouvé un travail comme graphiste et commençait dans l'après-midi. Elle avait déjà fait quelques dessins pour montrer à son nouvel employeur ce qu'elle savait faire. Il était un peu jaloux de son talent, mais ce n'était que des broutilles. Il n'avait pas à avoir honte de ce qu'il était devenu. Il avait été nommé PDG la semaine dernière et c'était avec le sourire qu'il partait au travail maintenant. Il avait eu l'ambition de monter sa propre boite, mais elle avait ployé sous les charges et il s'était vite retrouvé sans rien. Prenant un travail comme employé ; il avait été exemplaire et avait gravi les échelons petit à petit sans jamais s'écraser contre un plafond de verre. Il se tenait au courant de la réforme et des manifestations qu'elle causait, mais sans intervenir. Il essayait de rester loin des affaires politiques, continuant à faire tourner le business pour ne pas sombrer. Sa demande en mariage avait été acceptée et il la laissait encaisser la nouvelle avant de préparer les préparatifs. Il avait tant de gens à inviter, mais le nombre de témoins potentiels ne faisaient que grandir alors qu'il n'y avait qu'une place. Il pensait au voyage qu'ils allaient faire dans quelques semaines, aux nouveaux meubles qu'ils allaient acheter et même aux prénoms de ses futurs enfants. Il voyait dans le futur, et loin dans celui-ci. Au point de ne pas voir le présent, et Jason qui ne revenait pas de le croiser dans la rue.
Il s'en rendit compte trop tard, quand leurs regards se croisèrent et qu'il ne pouvait plus faire semblant de ne pas l'avoir vu. Il voyait son compagnon, intacte pour une fois, habillé et coiffé stupidement, une batte sur l'épaule. Il avait un sourire provocateur qu'il n'appréciait pas et il s'approchait de lui comme s'il cherchait la bagarre. Ils se fixaient en silence, s'approchant l'un de l'autre. Mais finalement, aucun coup ne partit. Non, leurs poings se heurtèrent l'un contre l'autre. Ils se prirent dans leurs bras.
« -Putain ça fait longtemps ! » Trembla la voix de Jason en lâchant sa batte.
« -Tu parles que ça fait longtemps, j'ai failli pas te reconnaître. »



« -Ola ola ola ! On arrête tout ! »
Jason et James se retrouvent, sans explication, assis sur des chaises l'un à côté de l'autre au milieu d'un bureau immense plongé dans une lumière blanche aveuglante. Le meuble devant lequel ils se trouvent est nettoyé à la brosse à dent et si bien verni qu'ils peuvent voir leurs reflets. La porte de sortie est ouverte, laissant entrer un petit blond criard qui se plaint de tout à quelqu'un qu'ils ne voient pas. Finalement, il dépoussière sa tenue et se dirige vers la chaise incroyablement bien tenue elle aussi.
« -Qu'est-ce que- »
« -Oui je sais, c'est chelou. Mais croyez-moi, je devais m'occuper de cette affaire depuis un moment. »
Il ouvre son tiroir alors que les deux garçons s'échangent un regard d'incompréhension. Il n'y a rien d'autre qu'eux dans la pièce. Chaque bruits qu'ils font résonnent profondément, comme s'ils continuaient à émettre jusqu'à leurs âmes. C'est le cas du choc que produit le dossier que le jeune garçon jette sur son bureau. Assis au fond de sa chaise, sa tête dépasse à peine du bureau et les deux amis doivent faire un effort pour pouvoir le regarder. Jason s'impatiente vite, il fait vibrer sa batte contre le bureau.
« -Ne faites pas ç- »
« -C'est quoi ce bordel ?! J'étais à deux doigts de me faire éclater par des flics et me voilà je-ne-sais-où »
« -Je vous ai déjà dis que c'était ma faute ! » Il feuillette vite fait son dossier avec de claquer des doigts, pointant son index vers James. « Et vous ? C'est quoi votre dernier souvenir ? »
Il jette un œil à Jason sans comprendre, les sourcils froncés par sa confusion. Il finit par secouer la tête.
« -J'étais avec Léa. Elle se sentait pas bien et.. »
« -Votre premier souvenir ! Lequel c'était ? »
Il demande ça à Jason, lui qui prend du temps à répondre. Non pas pour se souvenir, mais pour contrôler la colère qui monte en lui. Il a envie de renverser le bureau et de frapper celui qui est derrière. La pointe de sa batte bat le rythme d'une mélodie stressante comme s'il tapait sur une batterie.
« -J'avais onze ans. » Lâche-t-il finalement agressivement. « J'étais en CM1 et j'rentrais dans une nouvelle classe en pleine année. J'étais perdu, j'avais peur et tout le monde me regardait en attendant que je me présente. J'leur ai finalement dis Ouais j'm'appelle Jason et j'vous promets qu'on va bien s'marrer. »
« -Et vous ? »
C'est alors que James plonge ses yeux dans ceux de Jason. Celui-ci ne comprend pas, hausse les épaules pour lui demander silencieusement ce qui le gêne. Il répond à la question, ne lâchant pas son ami du regard, ses sourcils se fronçant et fur et à mesure de son récit :
« -J'avais onze ans, j'étais en CM1 et je rentrais dans une nouvelle classe en plein milieu d'année. J'étais perdu, toute la classe me jugeait et j'arrivais pas à parler. Finalement, je leur ai dis : Mon nom est James et j'espère qu'on sera de bons amis. »
« -Ah ! Voilà où j'ai fais l'erreur. »
Ils se rendent doucement compte de la version de l'autre. Malgré leur amitié autrefois enviable, jamais ils ne s'étaient racontés cette histoire. Ils découvrent les uns après les autres tous les points communs qui les lient comme autant d'indices qui les avaient forcés à devenir amis. Le troisième garçon a beau lever la tête et expliquer cette histoire incompréhensible, ils n'écoutent pas. Ils continuent d'échanger leurs versions jusqu'à leur séparation.
« -Hey ! Vous m'écoutez ?! » S'écria finalement le blondinet.
« -Quoi ? Qu'est-ce que tu veux ? » Rétorqua alors Jason.
« -Mon boulot, c'est de gérer les gens. J'essaye de leur faire prendre le bon chemin lorsqu'ils prennent des décisions importantes. Manque de bol, il s'avère que j'avais une gueule de bois monstre ce jour-là et j'ai pas eu le temps de m'occuper de tout le monde. Donc bah...Au lieu de prendre une décision...Vous avez pris les deux en même temps. »
« -Quoi ?! » Hurla James en se levant de son siège. « Vous êtes en train de me dire qu'on est la même personne. »
« -Ouais, grosso-modo. »
Les deux garçons se lèvent en même temps. Ils n'arrivent pas à croire ce qu'ils entendent. Ils n'osent pas vraiment se regarder, le plus sage faisant les cent pas en s'arrachant les cheveux alors que son compagnon commence à frapper les murs du bout de sa batte. Ils se plaignent, se demandant encore comment une telle erreur peut être possible.
« -Oh calmez-vous les humains ! Je vais régler ça et l'un d'entre vous disparaîtra. » Avoue le blondinet avec le plus grand des calmes.
« -Quoi ?! »
« -C'est mort ! »
Ils se sont presque jetés sur lui, prêts à s'en prendre à son jolie minois. Mais dès que la main de Jason se referme sur son col, il est projeté au loin par une force invisible. Et le petit homme a beau s'excuser, sa victime a toujours aussi mal. James ne sait pas comment réagir, revoyant déjà les plus beaux souvenirs de sa vie remonter dans sa mémoire. La plupart d'entre eux sont aux côtés de Léa, alors il se rend compte qu'il ne veut pas disparaître.
« -Et...Et... » Essaye-t-il en bégayant. « On...On peut pas laisser comme ça ? »
« -Pourquoi ? Je viens de vous dire que vous êtes les même et ça vous pose pas de problèmes ? C'est quand même un lourd paradoxe sur le papier. »
« -Mais on a rien fait de mal n'est-ce pas ? Genre personne n'est mort à cause de ça. Et on est chacun heureux de nos vies non ? »
« -Oui » Répond Jason entre deux gémissements de douleur.
Le petit blond hausse les épaules, surpris par cette décision.
« -Bah ok. »

Rouvrant les yeux, Jason se retrouve devant la porte de l'appartement. Il a le visage tiré vers le haut et ses yeux glissent sur la peau nue de la femme du dernier étage. Il entend les bruits de ses amis qui fuient. Il entend la complainte d'Alphonse qui lui demande ce qu'il fout. Il le sent essayer de l'emporter dans sa course. Il voit ses autres compagnons le dépasser sans l'attendre. La vague de policier s'approche dangereusement, prêts à casser du casseur plutôt qu'à arrêter gentiment des jeunes gens. Alphonse n'attend pas que son ami se décide, il fuit avant tout. C'est normal, pense alors Jason en souriant. Mieux vaut penser à sa peau maintenant.

Rouvrant les yeux, James se retrouve au fond de son lit, entendant les bruits estomaqués de Léa monter de la salle de bain. Il se redresse et va la réconforter. Il lui chante une sérénade, charmant son mal-être par des touches romantiques dont elle est tombée amoureuse. L'orage fait rage, il fait toujours rage, mais son esprit est occupé à autre chose. Il se rappelle à quel point il l'aime et surtout du sentiment qui l'avait envahi en imaginant la perdre. Alors il se met à genoux, peu importe si elle a le visage dans la cuvette. Sans bague, mais avec toute la sincérité du monde, il lui demande de l'épouser. Et elle accepte dans un torrent de l'arme qui lui font oublier la présence des éclairs qui tonnent dehors.

Jason crache un mollard rouge sur le pavé de la ruelle. Son combat a fait beaucoup de bruit et a attiré l'attention des voisins. Même la femme du dernière étage daigne sortir le visage par la fenêtre. Elle ne le reconnaît pas, son identité avalée par une vague bleue d'ordre et d'autorité. Sa batte est brisée par le chef. Il est soulevé et amené à une voiture dont les gyrophares crient  leur lumières immondes. Il est assis sur la banquette arrière du véhicule, ostracisé du groupe de policiers par un grillage. Il lance un regard dans le rétro-viseur et son reflet déformé par les bleus lui sourit.

James aussi regarde au travers du miroir de la salle de bain, serrant dans ses bras la femme en pleure dont il rêve la nuit. Il sourit, rempli d'un bonheur qu'il partage avec Jason. Et peu importe si leurs chemins sont différents, ils se sentent bien dans leur peau peu importe la vie qu'ils mènent.
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