Le Petit Livre
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Mer 19 Sep - 18:51
Spoiler:

« -Et tu penses qu'jouer plus fort ça arrangera les choses ? »
« -Ferme la et tourne le bouton »
Mais quel connard. Enfin bon, il doit sans doute avoir raison. Alors je tourne le bouton jusqu'à ce que je ne puisse plus le faire. L'ampli se met à grésiller sans qu'on ait besoin de jouer ne serait-ce qu'une note. Mes parents vont me crier dessus, ça s'est clair. Je pose mon cul sur ma batterie, je sors mes baguettes et je lance un regard circulaire dans la salle. On n'est que trois. Un bassiste et un guitariste. Pour ce qui est du chant, on improvise. De toute façon, ce n'est pas comme si on était déjà signé dans un studio. Trois mecs pour faire des musiques pourries, je n'ai pas besoin de plus pour apprécier ma vie. J'ai bien sûr mes petits problèmes, les notes du lycée et les coups de cœurs qui s'enchaînent. Je vois ça comme des moments à passer. Tout le monde le fait, pourquoi je n'y arriverais pas ? Je parle d'une époque qu'on ne vit qu'une fois. Voilà pourquoi je n'en parlerais qu'une fois.
Je n'aurais jamais cru que ça ferait autant de bruit. Les micros n'arrivent même pas se démarquer du brouhaha qu'on joue. Je suis le tempo sans difficulté, mais je n'imagine même pas la galère que Valentin doit vivre. La guitare, surtout pour le morceau que nous jouons, c'est du Iron Maiden mode très difficile. Je n'ai qu'à taper sur les tambours et sur les cymbales, ça vient naturellement. Je ne sais pas dans quel genre de musique on pourrait être limité. De toute façon Sid ne veut pas d'étiquettes. Il a toujours été chelou avec sa putain de basse. Son talent en est que meilleur, je n'ai rien à lui dire quand il joue. Les murs tremblent, le sol tout autant et les voisins ont sorti leurs meilleures plaintes juste pour nous. Heureusement que nos paroles sont recherchées. Il ne se passe jamais rien de toute façon, dans ce coin paumé de la campagne française. En plein milieu de la diagonale du vide, on est déjà bien content d'avoir trouvé un ampli. Il n'est pas de bonne qualité, c'est nous qui l'avons monté. Mais tant qu'il n'explose pas, on en profite. C'est drôle de voir tout le village s'arrêter dès qu'on joue.
Internet, quel endroit monstrueux. Il pourrit les jeunes et les incite à la décadence. C'est dangereux d'y traîner, il faudrait l'interdire et remettre le bon vieux service militaire. Il faut faire bouger les jeunes, qu'ils arrêtent de se complaire dans leur vie trop facile. Ah ! À croire que notre quotidien est aussi stupide que le gameplay de God Of War. Je ne suis pas d'accord. Ces pensées sont aussi limitées que « Le rock c'est Satan ». Toutes nos inspirations viennent d'internet, nous qui ne connaissons que les kermesses de l'école primaire du coin. C'est peut-être pour ça que nous n'avons pas de succès. Ou alors parce qu'il n'y a pas un con pour nous signer dans ce coin paumé. Notre histoire n'est pas celle d'un groupe qui devient célèbre. C'est trop cliché pour moi et Sid, et Valentin a des envies très différentes. C'est juste une passion, comme les jeux de rôle ou les mangas. On passe toutes nos journées ensemble, autant faire quelque chose de constructif.
Mais ça ne dure jamais longtemps. Faut que des gens débarquent pour débrancher notre ampli. Mais ce n'est pas mes parents. Eux ils s'en foutent. Ils comprennent très bien que j'ai l'âge de faire du bruit. Ils sont plutôt laxistes en plus, je peux faire un peu ce que je veux. C'est carrément un inconnu qui est entré dans mon garage pour tirer sur mes câbles. Sid est parti au quart du tour et lui a explosé ses phalanges sur le visage. Sa basse a rebondit plusieurs fois sur le sol, il n'a pas pris le temps de la déposer. Vu sa tronche, ça ne peut plus lui faire de mal. Valentin crache des insultes avec un rythme proche du rap, mais ça n'a quelques fois aucun sens. Je fais appel à mes plus grands talents de négociateur, mais je suis plutôt mauvais à ça. Le grabuge se propage et on se retrouve pris en tenaille par tous les vieux des alentours. Quelques-uns viennent attraper mon collègue pour lui faire lâcher sa proie. C'est chaud. On part tout de suite en couille. Si bien qu'on se retrouve en garde à vue avant midi.

Saloperie de soleil, si je pouvais l'éteindre ça me ferait du bien. J'aime l'eau pour nager, mais je suis très sensible à la chaleur. Je saigne du nez plusieurs fois avant d'arriver à la basse-cours. Si seulement je pouvais grinder sur les fils électriques, je pourrais me casser d'ici. Je pense que mes deux amis pensent comme moi. On connaît tellement bien le poste, vu le nombre de fois que nous y sommes allés. Dommage qu'ils ne fassent pas de carte de fidélité comme au kebab, j'aurais eu le droit à un passage gratuit. Le commissaire nous appelle par nos prénoms, il nous tape même dans la main avant de se poser derrière son ordinateur. C'est toujours le même motif de toute façon, il n'a pas besoin de nous faire le jeu de rôle du flic habituel. Tout est dans la boite de données avant sa pause donuts. Est-ce qu'on apprendra un jour ? Sûrement pas. Entre les barreaux de la cellule, en attendant nos parents, on bosse les paroles. Elles ne sont pas encore prêtes, il n'y a pas assez de références.
« -Les références ne font pas une bonne musique, ce qu'il faut c'est du rythme. » Raconte Sid en écrivant sur notre bloc-note.
« -Non non non ! » Dis-je un peu fort « Tu peux pas privilégié le rythme au reste. »
Et on continue de parler pour rien. Ce n'est pas un dilemme stupide dans les studios d'enregistrement. Mais qu'importe le résultat de celle-ci, on a déjà ce qu'il nous faut. La musique est déjà prête. Quelques gribouillis n'y changeront rien. Le lendemain on se retrouvera dans la cour du lycée avec leurs instruments et mes notes. On bossera quelques lignes avant d'être rappelé aux chiantes études auxquelles on est attaché. Si le soleil venait à décliner et la pluie s'écraser, on resterait sous le préau à faire chier tout ceux qui bossent dans le calme. Et si nous nous retrouvons en colle jusqu'à la venue de la lune, on s'arrêtera sans doute au bar avant qu'il ferme. 22H ? Je crois qu'il est temps de rentrer.
C'est ça la routine. Mais comme dans toutes les fictions, elle ne dure jamais. Je viens à peine d'expliquer nos habitudes que le lendemain on se retrouve coincés dans ce bar. Il nous arrive de jouer sur la scène, mais pas ce soir. On préfère prendre une pause tant qu'on bosse les paroles. Nous sommes servis par une ravissante demoiselle qui sursaute de haine à chaque main que Valentin approche de ses fesses. On fait tellement de vagues que personne ne veut rester près de nous de peur de se noyer. Je fume quelques cigarettes, mais Sid préfère la poudreuse. Qu'importe, on a notre petit coin personnel où personne n'ose venir. Personne à part une poignée de chanteuse de country. Elles nous remplacent souvent. Je ne sais pas ce qu'elles nous veulent, peut-être nous prendre un peu de talent comme les parasites absorbent la vie de Samus quand tu fais pas gaffe. Les seuls conseils qu'on leur donne sont des conneries sans importance. Des placements de doigts, des facilités d'écritures originales et quelques tours pour épater le public. Tours qu'elles savent mettre en place avec leurs jupes amputées.
« -Je déteste cette connerie de country ! » S'écrit Sid en relevant violemment la tête.
Il ne dormait pas ce con ? Putain, j'aurais juré que sa neige l'avait assommé. Crier ça ne l'aide pas à élargir son cercle d'amis. On se crée une nouvelle ligne de vide avec cette réaction. Tant mieux, je n'ai pas besoin de fan pour le moment. Une bière, une clope et un petit Rock N' Roll c'est tout ce qu'il me faut ce soir. 22H ? C'est déjà passé. Ce n'est pas la guitare classique dégueu' ou l'ambiance qu'on a instauré qui nous fait rester. C'est la petite nouvelle au comptoir. Avec son uniforme de serveuse et sa petite coiffe d'intello, elle nous fait craquer tous les trois. C'est Valentin qui se jette dessus le premier, mais Sid et moi nous sommes battus comme des Maximus. Le sol est froid, il calme les bleus qu'on va avoir à cause de ses coups. Nous sommes obligés de le regarder, impuissants, lui sortir ces quelques phrases le bras nonchalamment écrasé sur son plateau.
« -Hey, j'cherche à casser l'ennui. Ca te dit un p'tit mouv' rien qu'toi et moi sur la piste ? J'te promets j'danse mieux qu'ces poissons hors de l'eau. »
Oh le petit con...Et pourtant elle rit. Je n'arrive jamais à comprendre pourquoi les wesh s'attrapent des gonzesses avec leurs combines toutes merdiques. Mais alors sortir une phrase aussi aléatoire et avoir une réponse comme la sienne, c'est encore pire que les questions de philosophie à la fac.
« -Héhé, tu me montres la choré ? » Dit-elle de sa voix cristalline.
Et les voilà partis. Non seulement je rentre chez moi plus tard, non seulement je dors moins et je me réveille avec la tête des mauvais jours, mais en plus je me suis fais carotte la nouvelle serveuse du First Step.

J'avoue, le réveil est compliqué. Quand mes pas s'écrasent sur la campagne à six heure du matin pour être à l'heure au lycée,  ma jauge de bonne humeur a du mal à se remplir. Surtout que ça fait quelques semaines que je compte les jours. J'ai beau être un jem'enfoutiste avéré, les vacances approchent et je réagis comme tous les adolescents à cette information. Plus de musique, plus de temps pour plus de conneries. Je ne vois pas les choses du bon angle ? Je devrais travailler pour la rentrée ? Je sais bien. Le bac approche doucement. Mais tout le monde l'a ce truc, je l'aurais aussi. Je n'ai pas besoin de bosser. C'est sans doute l'option la plus judicieuse, ainsi j'aurais un futur plus prometteur. Je ne suis pas du style No Future, mais Sid et Valentin adorent me tirer vers le bas. Autant ne pas tomber tout seul.
« -Non, c'que j'te dis c'est qu'on devrait aller en Angleterre. On prend ton vieux tacot tout pourri et on passe sous l'tunnel. »
« -C'est con comme idée. » Répond Sid après son immense bouffée. « Je suis pour la marche à pied. On part de notre patelin pour arriver à la grosse ville la plus proche. D'ici c'est... »
« -Lyon » Dis-je pour faire quelque chose dans la discussion. « Mais si tu veux aller à Lyon à patte, je te dis bonne chance. »
Et on continue, comme si se former des conflits pour rien était le seul truc qu'on pouvait faire pour oublier notre trou paumé. On s'est souvent battu pour des broutilles. Des filles comme des notes. Je me souviens que le dernier gros coup de gueule c'est le seize sur vingt de Valentin. Il avait pas fait exprès, mais on lui est tombé dessus comme une bande de sauvages. Je commence à parler du passé, ce n'est pas bon. Ce sont les types à la retraite qui font ça. Le bon vieux temps, je suis en train de le vivre.
La fin de journée approche. On préfère commencer à boire à la tombée de la nuit et comme il fait encore jour, on se retrouve dans mon garage. Mes parents sont là, et ils ne sont pas seuls. Ma sœur Salie vient nous rendre une petite visite. On ne la salut pas, il faut aller jouer. Batterie ok, guitare parfaite et basse potable. Il ne va pas la changer de si tôt avec la pauvreté qu'il supporte. Je suis étonné qu'il ne vit pas dans son camion. Il oublie tout ça quand il joue, alors il joue fort. Les tremblements reviennent et tout le monde sait que les flics ne nous ont pas gardé. Des fois ils le font, mais pas longtemps. Sauf qu'on n'a pas le temps de faire grand chose. Cette pouffiasse vient de faire disjoncter toute la maison !
On a beau crier, mes parents ont toujours une magique aspiration quand elle est à leurs côtés. Ils se sentent de nouveau les maîtres et m'interdisent des trucs. Ils pensent que c'est elle l'avenir de la maison alors ils la privilégient. Ce n'est pas une logique de merde, mais mes amis ont autant de respect pour eux qu'ils en ont pour les poivrots qu'on rencontre le soir. Quand ils sont tous les cinq ensembles, j'ai toujours peur qu'il y ait une baston. Le ciel est rose de toute façon, il faut qu'on se casse. Sid a du mal à arrêter son combat de regard avec ma sœur, mais je le tire loin de ce piège. On est tous frustrés, même après quelques bières. On a de la chance, on supporte une réputation de gros soûlards ici, alors quelques fois la maison nous paye des coups. Cette fois, c'est le salaire de Ramone qu'on vide comme des salauds. Elle nous connaît que depuis un jour et on vient déjà de lui voler du fric. Quels déchets on fait sur ce coup. Je ne sais pas ce qui me déprime le plus, ça ou le fait que Valentin a son bras sur les épaules de cette demoiselle. Putain j'ai envie de me battre.
« -Arrête de dire de la merde Ulrich, t'es une pédale ! » Dit-il alors que les lèvres de sa nouvelle copine ont trouvé refuge dans sa gorge.
« -Fait pas c'te tête, il a un p'tit peu raison. Tu t'bats pas avec nous, t'fais gaffe à c'qu'on s'fasse pas rôder. »
« -C'est cool, crois pas qu'on t'en veux. Mais fais pas le mec alors que tu te chies dessus quand on se tape. »
Je prends un cul sec.
« -Peut-être que je reste derrière, mais je sais boire moi. »
Hé, ils sont prévisibles ces cons. Dès que j'ai fini ma phrase, ils tirent leurs verres et se mettent une cuite mirobolante. Je les suis bien entendu, mais je suis le seul à survivre au troisième verre. Les deux se précipitent aux toilettes alors que je reste avec Ramone. La pauvre rigole, mais son porte-monnaie doit être bien vide ce soir-là. Sept pintes en tout, ça doit faire son pesant d'or tout ça. Je m'excuse, pour moi et mes deux compères, mais elle refuse toutes mes approches. Elle fait ça pour le plaisir ?
« -Je suis exactement ce à quoi je ressemble. Je suis une tête de classe. C'est agréable de faire autre chose que de travailler. Mon père voulait que je travaille avec lui, dans son entreprise, mais jamais j'aurais pu prendre mon envol. C'est moi qui ai insisté pour passer mes vacances ici. Je regrette pas de dépenser la moitié de mon salaire dans vos verres, ils sont amusants. »
J'éclate de rire sans savoir pourquoi. Je ne sais pas si c'est son discours ou l'alcool qui me monte à la tête, mais j'ai du mal à m'arrêter. Je me fais des abdos d'aciers comme ça.

Ça arrive bien vite, bien plus vite que je ne le pensais. On est déjà en vacances et on sait pas quoi faire. On a chanté plusieurs fois, on a joué quelques trucs, mais on s'épuise à force de se battre avec les voisins. Ma sœur n'était pas venue pour faire un coucou. Mes parents sont partis quelques semaines à la capitale et elle veille au bien-être de la maison familiale. Bien sûr que j'aurais fais quelque chose, mais là c'est mort. La vision d'un canapé saccagé sur lequel on aurait posé nos culs, devant un porno ou un film mauvais qui ne passe qu'à la campagne est bien plus agréable que le banc en béton sur lequel on est posé.
« -Ouais bah je peux rien faire moi. Je suis pas le type qui frappe, mais là je peux vraiment pas mettre une droite à ma sœur. »
« -Alors t'préfère nous laisser cramer comme des nuggets au soleil. »
Je hausse les épaules. Ce n'est pas comme si j'avais le choix. J'aurais bien aimé avoir un appartement à moi pour qu'on glande tous ensemble. Même une voiture qu'on aurait défoncée à coup de joins et de clopes. Mais je n'ai rien de tout ça, juste une campagne un peu nulle. Je décide difficilement de ce que je fais à vrai dire, c'est plus mes parents.
« -Mon cul ! » S'écrit alors Sid. « Ils font de toi un connard ! Si tu veux être libre, dis toi qu'ils sont pas humains. »
« -Mec t'es trop con ! Je suis d'accord avec vos conneries d'être en guerre contre tout le monde, mais c'est ma famille. Je ne vais pas me mettre à taguer leurs murs. »
Je passe pour quoi ? Une tapette aux yeux de Sid et un type normal pour Valentin. Je sais très bien que le premier a de gros problèmes avec ses parents, notamment parce qu'ils pourraient le vendre contre une voiture. Mais merde...Il vient d'essayer de me monter contre les miens ? Je ne peux pas faire comme si de rien n'était. On n'a définitivement pas le même point de vue. Sans doute parce qu'on n'a pas eu la même histoire.
Ça ne nous empêche pas de rester ensemble le reste de la journée, de la semaine et même du mois. L'été c'est top, on peut nager et faire les cons dans la ville. Il n'y a presque personne pour nous arrêter. La moitié des flics ont pris leurs congés en même temps et le peu qui reste, ils arrivent à peine à tenir debout. C'est bien au moment des grandes vacances qu'on devient de vrais rois. Pas un vieux shnock n'est capable de nous arrêter. Ma sœur est à peu de choses près la seule menace à notre empire. Pas question de la laisser faire, il faut qu'on monte un plan pour pouvoir la faire tomber de son trône. Heureusement, on est aussi futés que des Avatars. Je suis réveillé un matin par la sonnerie de l'appartement frénétiquement harcelée. Salie gueule, mais j'arrive à la faire taire en lui disant que c'est le facteur. Sûrement, j'ai commandé une couleur. Ce n'est pas le facteur, à moins que Valentin ne soit plus étudiant. Il ceinture la bouche de ma sœur et la plaque contre le mur. Je suis en haut des escaliers quand je vois ça. J'ai à peine le temps de descendre les marches que je remarque Sid. Il entre tranquillement dans ma maison, se pose sur le canapé comme si c'était le sien et vol même le verre de grenadine de son otage.
« -Putain, c'est dégueu cette merde, y'a pas d'alcool. »
J'aurais du comprendre leur petit jeu dès qu'ils me lancèrent une corde. Allez, on a déjà perdu trop de temps. Les vacances viennent de commencer et on sent déjà la fin. On ligote le nouveau chien de garde de mes parents et on la balance dans l'armoire. Je remonte dans ma chambre et j'enfile rapidement mes vêtements. C'est tellement le bordel que je trouve quelques trucs stupides. On va partir un moment, je dois au moins avoir un sac rempli d'affaires. Des caleçons et des chaussettes, c'est le plus important. Dormir deux mois avec le même tee-shirt ne me pose pas de problème. Je défonce la porte de la chambre d'à côté. Je me rue sur la table de nuit, j'ouvre le tiroir et je m'empare des deux-cent, trois cent, ouais des quatre-cent euros qui y sont cachés. Direction le sac. Je prends le temps de passer par la salle de bain, ma course rythmée par les gémissements de la pauvre Salie. Hé, fallait pas m'avoir comme frère. A moins que ce soit moi qui n'aurait jamais du avoir ces amis. Bref, je préfère penser au dentifrice et à la brosse que j'embarque. Si j'oublie le gèle, je vais me faire défoncer. Je sors avec celui de ma sœur et j'ignore leurs commentaires. On sort comme des héros de films, vestes en cuir et blouson noir sur les épaules. Je vois déjà la scène au ralenti avec moi en tête, Sid sur le côté à allumer sa cigarette et Valentin placer ses lunettes de soleil sur son nez. Mais nous sommes soudainement rattrapé par le sens commun.
« -Hé sérieux les gars. » Intervins-je alors. « Si on la laisse comme ça elle va crever de faim. »
« -Ouais t'as raison. » Dit Valentin avant de rentrer violemment chez moi.
Nous le regardons faire, nos sourcils levés d'incompréhension. Il attrape plusieurs paquets de pâtes crues des chips et deux grosses bouteilles d'eau cachées dans le frigo. Je ne me demande pas d'où il connaissait leur position, j'ai arrêté de chercher. Il ouvre alors le placard dans lequel Salie est enfermée et lui lance tout sur le coin de la figure. Il sort précipitamment, sautant dans la benne du pick-up qui joue notre taxis. Bon, je suppose qu'on ferait mieux de ne pas rester ici.

« -Sérieusement, t'as pas pensé aux cigarettes ? J'ai qu'un paquet et il est pas pour vos sales tronches. »
« -Calme toi p'tain, on va s'arrêter t'façon faut prendre Ramone. »
Un seul échange de regard me rassure. Ça me fait plaisir de savoir que Sid non plus n'était pas au courant. Il réagit peut-être un peu violemment aussi, donnant un coup de pied au véhicule qui nous soutien, mais je comprends sa colère. Surtout que cette donzelle n'était pas la proie privée du conducteur. Ce qui nous calme, c'est le fait qu'elle habite loin. Il va falloir faire un peu de route et c'est agréable d'être à l'arrière. Le vent dans les cheveux et les paysages qui défilent. C'est peut-être une camionnette toute merdique, mais je ne l'échangerais jamais pour l'intérieur en cuir d'une allemande. Un road-trip tip top, c'est le cliché qu'il me faut pour ces deux mois d’exils. J'ai les yeux fermés, couché dans la benne avec le son de la basse de Sid dans l'oreille gauche et les hurlements du vent dans la droite. Je bas le rythme avec le pied et je laisse mes cheveux danser. Deux heures de tranquillité avant d'ajouter une meuf à notre bande. Quelqu'un de normal s'inquiéterait du retour des parents ou même de la santé de sa sœur, mais je n'en ai rien à faire. Mes problèmes, je les ai laissés dans le placard avec cette pouffiasse.
On s'arrête devant un  portail. Une longue allée de pierre mène à un garage à l'air libre où flemmardent deux voitures. Leurs prix potentiels énervent déjà Sid qui manque de jeter sa basse. Heureusement que je le tiens. La grande villa s'étend derrière ces véhicules. Deux étages de vitres et de murs carrelés. Plus que tout, c'est la piscine sur le balcon qui m'énerve le plus. Les deux gamins qui s'y trouvent n'arrangent pas vraiment les choses. Puis des cris, un père qui sort en fracas. Il parle à sa fille, il la menace. Celle-ci apparaît alors derrière le portail. La haie la couvrait. Elle ouvre la grille et s'y faufile. Son père la poursuit, il fonce sur les barreaux comme une vague de haine. Elle me tend la main. Je reste paralysé par la surprise, alors c'est la main du bassiste qu'elle empoigne. Le moteur tourne encore et la voiture démarre au quart de tour. Le père de famille arrête sa course et continue de hurler. Je reste pétrifié, ne sachant plus dans quelle affaire je me suis retrouvé. On s'arrête pourtant, quelques villes plus tard pour faire le plein de clopes. Elle ne fume pas et nous en sommes tous déçus. Elle va en respirer de la fumée, heureusement que ça ne la dérange pas. C'est notre première pause depuis notre départ, sur le bord de la route à jouer aux cartes. Un petit tarot, rien qu'entre nous. Sid a toujours gagné à ce jeu, et ça ne change pas parce qu'on a un joueur de plus. Quel salaud.
On roule, sans s'arrêter pendant 24h entières. On ne change pas de conducteur, personne d'autre ne possède le permis ici. C'est seulement après avoir esquivé de justesse deux accidents que la brillante idée de s'arrêter nous passe par l'esprit. La voiture est cachée alors par les arbres et le paysage ennuyant d'un camp de scout à la Crystal Lake. Il faut bien que Monsieur l'As du volant prenne une pause. Pour nous, c'est accordage et écriture. Ramone nous regarde sans rien faire d'autre. C'est une fille aussi, qu'est-ce qu'elle pourrait bien faire d'autre ? Si elle s'éloigne on va la retrouve éventrée par un type au masque en peau humaine. Ce qui ressort de cette séance est un son agréable, quelques notes qui se répètent dans une ronde entraînante. Une chanson qui passerait dans les cabarets où les grandes robes sont soulevées par les jambes nues des femmes qui les portent. C'est le genre de création qui fini dans le dossier « Agréable » de nos musiques. Des fruits de l'esprit qui n'ont aucun autre but que d'être agréable à l'oreille. Pas de messages à passer, pas de critiques ou de cris retenus depuis trop longtemps, pas d'insultes ou de défenses agressives. Juste une petite basse, peut-être une guitare électrique et son solo incontournable et des paroles ambiguës qui tanguent entre l'amour ou la proposition perverse.

La nuit tombe rapidement. La majorité d'entre nous est d'accord pour retourner manger des kilomètres, mais le maître du camion n'arrête pas de maltraiter son insomnie. C'est comme ça qu'à trois, nous découvrons comment marche le campement qui nous sert de voisin provisoire. C'est une sorte de camp pour riche fils de catho', formé autour d'un drapeau français très mal entretenu. Le poteau blanc orne la place principale. Il y a quelques bâtiments en bois comme la cuisine et ce qui semble être le lieu de rendez-vous. Les dortoirs ne sont pas mixtes et sont séparés par un immense terrain de jeu. Enfin de jeu, ce n'est pas non plus un skate-parc. On reste dans le coin paumé de la diagonale du vide, sauf qu'il est assez connu pour amener des gens de la ville visiter les quelques arbres qui ne sont pas encore remplacés par des faux. Ramone elle-même trouve des objets dont elle ne connaît pas la définition ni l'utilité. Plus que le papier toilette bio, je me demande toujours qui mange du cake à la carotte. Sérieusement, le truc le plus cool du monde mélangé au légume le plus immangeable, c'est vraiment ça la définition d'une bonne idée ?
On a eu le temps de faire ami-ami le temps que Valentin se réveille. Aucun d'entre nous ne veut faire connaissance avec les mecs. Ils sont léchés, désagréables et portent tous des polos blancs. Non, ce qui nous attire tout les trois c'est l'innocence des filles qui nous voient comme des aliens. Elles laisse traîner quelques clins d’œils, quelques mouvements de mains et leurs charmantes fragrances derrière de méchantes réflexions, comme pour nous faire comprendre qu'on joue à un jeu qu'elle n'ont pas l'habitude de gagner. On attire la jalousie, un grand blond aux cheveux mi-long nous le fait bien remarquer.
« -Hey, on te veut rien bouffon. » Commence alors Sid. « Genre on vient en paix, tranquille juste histoire de se reposer, et tu viens foutre ta merde. Ce serait de notre faute ? »
« -Pardon ? » Répond le gosse. « J'ai pas bien entendu avec ton vocabulaire limité. »
Ça escalade bien vite. Il faut dire que le bassiste n'a pas une patience à l'épreuve des réflexions. Je ne suis pas prêt à le suivre, il doit bien le savoir. Trois contre un ne lui a jamais fait peur. C'est Ramone qui intervient, séparant les garçons du bout de ses minuscules petits bras.
« -Oh hey les gars, on va pas se battre sans même avoir bu quelques bières. On va se poser et écouter un vieux rock, ça vous dit ? »
Ça me fait presque regretter mes années de collège où c'était moi la victime qui essayait de trouver des compromis. Sa stratégie ne marche pas comme elle l'avait désiré, mais elle a au moins le mérite de calmer les ardeurs des joueurs de golfs de quinze ans. On en est débarrasser et c'est tout ce qu'on cherche.
Ce n'est sans doute pas la seule péripétie qu'on vit pendant le sommeil de notre conducteur. On a pas le devoir de tenir le volant, on dormira quand on le voudra dans la benne. Le soleil pointe à peine son nez quand on s'infiltre dans le camp. L'une des demoiselle a laissé sa porte ouverte et Ramone passe la première, excitée par la nouvelle vie de gangster qui s'offre à elle. Ce n'est rien, mais ça doit la changer de sa vie de fille à papa. C'est une scène qui je ne vois pas souvent non plus. Être assis en tailleur au milieu d'une chambre remplie de fille qui nous encercle. Elles sont toutes là, les lèvres au bord de l'explosion tant elles ont de questions. Sid joue les gros durs, ses sourcils vacillent comme des flammes sur une bougie en paraffine. Nos têtes et nos accoutrements tranchent du tout au tout avec les uniformes et les pyjamas unis qu'elles portent pour nous accueillir. La seule source de lumière se soulève fièrement entre nous, au milieu de la salle, provenant d'une courageuse lampe à pétrole encore efficace grâce au miracle de l'industrie.
Des adolescentes toutes plus jeunes que nous. Et pourtant, elles sont au bord de l'explosion. Elles nous tournent autour comme des vautours autour d'une marée de cadavre. Ramone commence à se sentir délaissée, mal à l'aise. Je laisse aller, la situation est amusante après tout. Mais l'élément perturbateur de la bande se prend au jeu, beaucoup trop. Il s'est formé un harem de gauchiste, toutes affalées contre lui pour profiter de sa voix ridiculement grave.

Le soleil nous sauve d'une parodie de Bible Black. Le soleil, et le hurlement intense et frais de Valentin qui vient sans doute d’émerger du monde des rêves, se propagent dans l'atmosphère. Il met tout le monde d'accord en faisant gronder le moteur. Il va partir sans nous ! Ça brise tout le charme de Sid qui défonce la porte le premier. Un cheftaine ça se lève tôt. Je dois à peine imaginer ce qu'il ressent en voyant trois inconnus sortir du dortoir des filles. Je fais voler sa casquette en passant devant lui. Le bassiste prend la place du mort et j'aide Ramone à monter. La voiture est déjà en mouvement, je suis rassuré quand sa main se referme sur mon poignet. Elle est obligée de grimper comme Woodie à la fin de Toy Story et son soupir de soulagement est chargé de préjugés.
On doit encore faire un paquet de kilomètres avant d'épuiser Valentin. Il s'est réveillé avec la haine des chacals, motivé pour rependre le chaos sur son passage. On manque plusieurs fois de mourir lors de ses dépassements abusés. Seule la moins habituée ne rit pas une fois de retour sur la route. Après quelques coups de gueule de sa part, je lui apprends quelques trucs à la guitare. Je ne suis pas le plus apte à cela, mais je m'y connais un minimum en solfège. Mon cours de musique est soudainement interrompu par la présence d'un panneau déviation. Ce même signalement jaune qui énerve le détenteur du volant. Quelques coups plus tard et on se retrouve sur une route de campagne. Ce genre de route à peine goudronnée, voir pas du tout à certains endroits. Exactement le bon endroit pour une seconde pause clope. Assis sur le bord de la route, on oublie rapidement qu'on ne sait pas où on va. Cette information ne revient que quelques kilomètres plus loin, quand le réservoir nous livre les quelques crachats qui lui restait.
« -Attendez les mecs, je vais chercher sur gogole où on est. » Dit alors Ramone pour essayer de nous rassurer.
Et dès qu'elle réussit à déverrouiller son téléphone, on lui tombe tout les trois sur le nez. Son cul touche la terre, mon visage s'écrase sur son ventre. Valentin manque de m'écraser avec ses parties et Sid roule un peu plus loin, portable en main. Dans un réflexe de vieux joueur de baseball, il manque de le lancer dans la forêt. Pour éviter tout conflit, on l'en empêche tout de même.
« -Mais vous êtes complètement fous ! »
« -C'toi qui comprend que d'chie ! Rechercher s'tricher, faut tout faire sans c'te merde. Pas d'internet, pas d'4G et pas d'coup d'pouce. »
Il a bien résumé la situation. Qu'est-ce qu'on fait pour nous sortir de ce pétrin ? On pousse le camion jusqu'au bord de la route et on le cache sous un tas de feuillages. Sa peinture jaune pétante n'aide pas. Valentin embarque le jerrycan vide qu'il jette nonchalamment sur son épaule. Finalement, on se retrouve à exécuter le plan de Sid. Un peu de marche à pied. Mais étrangement, elle ne remonte pas le moral. Elle n'arrive même pas à nous apaiser puisque des cris se lancent par-ci par-là pour ne pas arranger les choses. Certains d'entre nous, qui n'ont pas de bite, se plaignent de la marche. Bah qu'est-ce que tu veux, ce n'est pas de notre faute si tu as pris tes talons et que t'as laissé tes baskets dans la voiture.
Lorsque les arbres et le feuillage s'écartent, toutes ces batailles se transforment en un enthousiasme cynique. Un petit village un peu nul nous offre une station essence toute propre. Ceux qui le peuvent courent, et ceux qui sont fatigués reste un peu derrière. Valentin est le premier à la pompe. Il a presque fini le travail quand le groupe se ressoude. Il ne nous faut pas dix minutes pour remplir son jerrycan, mais on tombe sur un os. On a à peine le temps de payer qu'un type un peu plus vieux nous interpelle. Il est sorti du magasin et parle avec un accent très désagréable. Il ne nous agresse pas, mais on n'est pas familier avec sa façon de parler. C'est comme s'il était un de nos potes. Et vas-y que je fais quelques mouvements de mains chelou alors qu'ils demandent ce qu'on fait là.
« -Et la p'tite nénette là, elle est bien mignonne pour traîner dans ce coin-là. »
Ni une ni deux, Valentin lui écrase une patate sur le visage. Assez violente pour lui casser le nez d'un seul coup.

Ils ont beau se ficher de moi en disant que je fais gaffe, mais ce sont mes sursauts de fillette et mes yeux apeurés qui ont sauvé leurs miches. Dès que le mec s'est écrasé par terre, j'ai vu le type du magasin se diriger vers la sortie. A travers les baies vitrées à peine éclairées par les ombres des arbres, j'ai vu son putain de fusil de chasse. J'ai relevé Valentin qui avait été emporté par son propre coup et on s'est tiré sans même payer l'essence. Le bidon dans les bras de Ramone, bien devant, les pieds nus, je pense à nos vies avant quoique ce soit. La France, ce n'est pas l’Amérique, mais va trouver des flics dans des zones paumées comme celle-ci. Un coup de feu retentit et des sciures d'écorces s'éparpillent autour de nous. Ramone doit se pisser dessus pour être devenue si légère et si rapide. Le problème, c'est qu'on a beau être aussi rapide qu'on veut, un plus gros problème nous arrête. On a perdu la trace du camion. Dans les feuillages, ouais, mais ils se ressemblent tous ces foutus arbustes. Il y a bien quelques pierres qui nous mettent sur la route, sans plus. On s'écarte de la voie, pour élargir nos recherches et pour se cacher du fou au fusil. On n'a pas fini de courir. Il y a un paquet de paysan dans le coin, et sans doute des jeunes imbéciles qui savent pas tenir leurs troupeaux. En esquivant des troncs morts, on tombe sur une vache. Là, toute seule, broutant le morceau d'herbe verte qui reste entre les feuilles mortes. Tout ce que j'espère c'est qu'elle n'est pas malade, mais Ramone préfère voir ce que ça fait de la caresser. Elle trouve ça drôle et force même Sid à se mettre une baffe sur le visage, désespéré par ce comportement.
« -Dis moi ma belle, tu sais où est la voiture toi ? Hein tu sais où elle est. »
« -Oui m'dame » Mime alors son copain avec une voix exagérément grave.
Et quand elle se retourne pour s'énerver, elle le surprend en train d'enlever une branche du toit de la camionnette. Elle réserve alors la place du mort. Moi je m'en fous, j'ai toujours préféré être dans la benne. Bien qu'imaginer le vieux de tout à l'heure me tirer dessus ne me plaît pas, je suis tout de même assez serein pour m'allumer une cigarette non sans difficulté.
Ça y est, le vent caresse enfin mes cheveux et c'est agréable. Même s'ils ne sont pas longs, même s'ils ne sont pas rouges, c'est un moment agréable dont je profite les yeux fermés. Je m'offre un de ces moments poétiques, où mon esprit s'enfuit pour entrer dans une narration nostalgique. Je ressemble à un Baudelaire leader price, mais je ne peux pas m'en empêcher. Je me sens unique, je me sens spécial, je me dis que personne ne fait pareil. Je n'entends plus Sid et Ramone discuter, le vent n'éclate plus mes tympans et je ne ressens plus le soleil frapper sur mes paupières. La route est longue avant la prochaine ville et mon estomac se tord de douleur sous la faim. Je ne suis pas le seul à me plaindre, mais les autres le font moins fort. On est rapidement remis à notre place, le souvenir des deux maboules au fusil nous faisant passer l'envie de nous arrêter.
Alors on a roulé. Rouler et encore rouler, comme si c'était tout ce à qu'on pouvait faire. On l'a fait jusqu'à la tombée de la nuit où les limites du corps de Valentin le poussèrent à s'arrêter sur le bas-côté. On déplie alors la carte sur le capot et on marque au fluo les morceaux de route qu'on a fait depuis notre dernier arrêt. On n'a rien pour calmer notre faim, ni notre soif qui commence à se faire persistante. La prochaine ville est pourtant à quelques kilomètres de là. Le conducteur ne se sent pas prêt à prendre les manettes, alors on se propose pour le remplacer. Un novice au volant est bien plus préférable à l'agonie de besoins inassouvis. Je cale plusieurs fois, j'arrive à peine à avancer et j'entame notre précieux liquide de moteur. Ramone ne fait pas mieux, manquant d'envoyer notre seul véhicule dans le fossé. Heureusement que Sid, après deux ou trois tentatives, apprend à passer la seconde. Il se prend tout de suite pour le seigneur, menant les vagabonds de la benne que nous sommes à travers des pointes de vitesses dépassant la centaine. Le frein qu'il écrase propulse la demoiselle. Je l'attrape de justesse, ma poigne se refermant sur le rebord jusqu'à la faire saigner. Ça fait un mal de chien, j'en hurle même tant la blessure est profonde, mais je force tout de même pour pas avoir un cadavre sur la conscience.  
On arrive une heure plus tard au milieu d'une ville qui semble habitée. Et par habitée, je sous-entends bien sûr qu'il y a plus de quatre vaches. Une heure et ma paume grossièrement emballée dans un morceau de mon tee-shirt est déjà en décomposition. Quand j'y jette un œil, j'ai presque envie de vomir. Ma peau prend un couleur bizarre, entre le marron et le vert. J'arrive peut-être à distinguer du bleu, je ne sais pas trop. Une odeur amer s'en échappe et le sang coagulé ne se montre pas sous ses beaux jours. Comme si ce n'est pas suffisant, je fatigue doucement et ma tête a décidé de se transformer en chantier. Et payer un médecin, ça aussi c'est tricher ?

On n'a pas de carte vital, on n'a pas non plus nos cartes d'identités. Puis ce serait trop dangereux, on est comme en cavale. Et même si je sais qu'ils ont raison, j'ai du mal à ne pas être inquiet. On décide de désinfecter tout de même les dégâts que je me suis fait. On n'a pas de quoi me soigner, et l'heure de fermeture approche drastiquement. Un bon vieux casse s'annonce, à l'ancienne.
On n'a pas de masques de clown, de costumes ou de gros flingues cachés dans notre chemise blanche. Notre technique est beaucoup plus clocharde que ça. Ramone reste dehors pour faire le guet, j'entre faire le malade pour faire diversion. Dès que les pharmaciens m'encerclent, le coup de théâtre commence. Sid se jette sur les produits et en met un maximum dans son sac. Il fait du bruit et n'est pas très précis, les marchands le remarquent très vite. Des mains se tendent pour l'attraper, mais le coup d'épaule de Valentin est mortel. Des visages s'écrasent sur le sol. Je suis emporté par mes amis, le sac rempli de médicaments qu'on ne connaît pas. Je suis tiré par le bras, regardant notre butin avec envie. Mes yeux rentre dans mes orbites et ça me fait si mal que j'arrive à peine à marcher droit. Bien sûr qu'il y avait une caméra, il y en avait même plusieurs. Sid profitait de tout les angles possibles pour montrer sur demande son majeur sous tout ses profils. On est de retour dans notre fief roulant en un éclair.
On s'attarde pas dans la ville, la peur des flics et des bouseux nous prenant à la gorge. Ma blessure s'infecte bien vite, j'en gerbe. Et même si ça attire la moquerie de mes compagnons, seule Ramone comprend ma position. Ce ne sont pas des putain d'analgésiques qui vont me sortir de cette merde. On a fouillé le sac et il n'y avait rien de bien utile à part quelques cachets. Du désinfectant en spray est notre butin le plus génial. Sinon on a que des dolipranes, une boite de capote, quelques seringues sans utilité et des traitements pour l’asthme. C'est d'une utilité qui me dépasse. Aller à l'hôpital ? Même moi je n'en ai pas envie. Ça va nous ralentir.
Rien que le lendemain, je me sens un peu mieux. Ma main est devenue blanche et ma langue est sèche comme la chatte d'une intello, mais je pète la forme. Je suis tellement excité que je saute sur place en pleine route ! Ces médocs sont encore plus utiles que la cocaïne dis-moi ! J'ai le sourire aux lèvres et la voix pour chanter quelques lyrics de ma collection personnelle. Je dois être bien chiant pour qu'on s'arrête à la prochaine étape de notre trajet. C'est Lille, cette foutue ville où il pleut même l'été. Et ouais, il pleut. Inutile de préciser qu'il n'y a pas de bâche au-dessus de la benne de la camionnette. Nous qui sommes dehors sommes condamnés à une douche éternelle jusqu'à ce que Sid trouve un garage où poser la voiture.

On sort en ville, on a besoin de rencontrer du monde ! J'avoue que ça m'a manqué, mais c'est le goût de la bière que je regrette le plus. Cette compagne éternelle n'est plus là pour me soutenir. La soif et la faim sont enfin apaisés par un bar dans lequel on se défonce toute la soirée. On y entre alors que le ciel se teint à peine de rose. On commande une pizza pour pas commencer à jeun, mais elle ne sert que quelques secondes avant de se baigner dans nos estomacs de titans. Alors on recommande de la nourriture, plusieurs fois. La nuit tombe tard en été, on a le temps de prendre plusieurs shots avant que la lune arrive. Mais dès qu'elle est là, le brouhaha qu'on cause est rapidement interrompu par la reine de la ville.
Une adolescente très sociable qui connaît tout le monde. C'est ce que je pense quand elle salut tout le monde et qu'elle s'étonne de notre présence.
« -Woaw ! » S'écrit-elle avec un fort accent anglais. « Je ne les connais pas ces gens, qui êtes-vous ? »
« -Wesh tu m'parle avec moins d'sérieux ok ?! » S'écrit alors Valentin, le bras posé sur les épaules de Ramone.
« -On saccage votre baraque.. » Se chuchote-t-elle sans vraiment de sens, déjà assommée par l'alcool.
Elle crée un fou rire qui nous infecte aussi. Cette maladie est encore plus virulente que celle qui court dans mes veines. On échange quelques verres pour fêter ça. On fait connaissance avec les autres universitaires qui traînent avec nous. Ils sont tous plus vieux, mais leurs consommations sont faites pour des gamines. On se fout d'eux, juste un peu, mais on se retrouve bien vite ceinturés par la nouvelle et sa bande qui nous regarde comme des loups affamés devant un troupeau de mouton. Je précise avant de perdre la tête, je suis le mouton noir. J'ai dis preums.
« -Vous savez, plus rien n'm'étonne ces temps-ci. Mes parents prendraient de la cock que ça me toucherait pas. Mais votre comportement est sacrément cheum, j'aimerais savoir pourquoi. »
On reste un peu scotchés. Sans doute se confit-elle si facilement parce que ses joues sont aussi rouges que des tomates mûres. Si l'énergie de Popeye venait de l'alcool, elle serait clairement invincible. Encore plus que SanGoku.
« -Écoute » Intervient alors Sid, appuyé sur un coude qui glisse dans le mélange d'alcool, de pisse et de sueur qui trônait sur la table « On s'en bat les couilles de toutes ces conneries, faut lâcher la pression un peu. Faire des trucs sans faire gaffe aux conséquences. Tu sais pourquoi ? Parce que c'est penser aux conséquences de nos actes qui nous foutent les ch'ton. Moi j'ai pas peur. M'en bat les couilles si j'me fais arrêter en rentrant dans ma bourgade. J'y pense pas. »
Il a niqué l'ambiance. Mais il décroche un petit rire mal à l'aise à la reine de Lille. Une petite chuby avec une allure rockeuse pas désagréable. Des mouvements de hanches aussi agiles et délicieux que ceux de ses gracieux cils. Elle est mal à l'aise, et qui peut lui en vouloir ? Je rectifie ma phrase, qui ne l'a jamais été devant Sid ? Rien que maintenant, j'apprends des choses sur lui que je ne connaissais pas avant. Ce n'est même pas une recherche de liberté biaisée qu'il explique puisque de toute façon il n'y croit pas. Non c'est un comportement autodestructeur, une folie qui me traîne jusque là où il se trouve. Il n'est pas le seul à être infecté par une telle folie, mais c'est sans doute le seul à se retrouver dans cet état à cause de ça.

Le lendemain, on arrive enfin au tunnel. Calais nous accueil alors que le moteur de la voiture gronde doucement. Je descends le premier de la benne, secoué par la maladie qui court dans mes veines. Celles-ci ont décidé de changer de couleur, de ressortir de ma peau comme si elles cherchaient un peu de reconnaissance. Je cache mon bras blessé en-dessous de mon tee-shirt. Il pleut, mais il ne fait pas froid. Chacune des gouttes qui s'écrase sur ma peau nue me fait penser à des larmes. Les larmes d'une âme-sœur imaginaire, le seul amour qui pourrait penser à moi. Mon regard gambade autour de moi, s'arrêtant sur le premier contact physique que je vois entre Ramone et Valentin. Elle est cachée dans ses bras, tout deux portant leur attention à l'horizon. Sid a sa basse dans le dos. Il reste dans la voiture, ses yeux posés là où les autres se retrouvent. Ses doigts serrent une culotte rouge. S'il la lâche, il disparaît dans un effroyable tourment.
On n'avance pas plus loin. La police est là, c'est trop risqué. Alors on se fait face les uns aux autres. Ce n'est pas comme si on ne l'avait pas prévu. C'est juste qu'on commence enfin à penser aux conséquences de nos actes. Ma sœur, mes parents, ma blessure. La station service, la pharmacie, le bar mal famé. Tout ce qu'on veut maintenant, c'est retrouver notre chez nous. Home Sweet Home. Mais ce n'est pas notre fin. Nous, on est plus génocide que pacifiste. Ça ne nous fait pas peur. On veut juste faire durer les choses un peu plus longtemps. Quand on sera de retour, ce sera terminé. On marche jusqu'à la gare. On laisse la voiture sur la route, qu'importe si la fourrière vient la chercher. On regarde les trains. On en choisis un et on s'en moque. Quand il arrive, on envoie quelques cailloux depuis le terrain vague en-dessous de la voie ferrée. Puis on rentre dans le bâtiment. On parle fort, on cherche la merde et on la trouve. Sid finit avec le nez cassé et Valentin a tellement frappé que ses phalanges saignent.
La gare a installé de petits trucs sympas pour faire patienter les voyageurs. Certains de ces endroits mettent à disposition des pianos. Mais ici, le hasard biaisé de la vie a fait qu'une batterie mourrait d'ennui prêt des quais. Je suis fatigué, j'ai les paupières qui papillonnent mais ça ne m'empêche pas de m'asseoir pour jouer. Mon bassiste me suit, et comme il n'a pas de guitare Valentin se doit de chanter. Juste quelques minutes, le temps que je tiens avant de m'écraser sur le sol. Seule Ramone se précipite sur moi. Mes compagnons m'encadrent, encore debout. Ils sont prêts à s'enfuir, dès que la sécurité sera là. Je leur en voudrais pas, c'était dans les termes du contrat. Ils me laissent chacun un souvenir impérissable. Un doigt d'honneur pour Sid, une paire de lunette sur le nez pour Valentin et un petit sourire désolé sur le visage de Ramone.
« -Tu seras toujours un mouton noir. » Commence doucement le bassiste. « Mais tu ne fais pas le mal et peu importe les raisons qui te poussent à faire le bien. Reprends-toi, lève la tête et vois »
Ce sont les derniers mots que j'entends avant de fermer les yeux. J'entends encore quelques morceaux, le bruit frénétique de leurs pieds s'éloignant de la scène et les grosses bottes de sécuritas fondre sur moi. Peut-être le bruit d'une ambulance, quelque chose dans le genre. Les lumières du couloir me reviennent, peut-être quelques caresses de ma mère. La haine de mon père est ancrée dans ma gorge, les insultes qu'il hurle envers mes amis. La compréhension aussi, la compréhension s'enfonce dans mon cœur quand je me rends compte de l'importance qu'ils me donnent. Je sers la main sur quelque chose de moite, de moue. Une peau, une main qui attend à mon chevet. Il me faut une semaine pour guérir, les paroles du médecin revenant encore se tapir au fond de ma tête pour me rappeler la chance que j'ai eu de ne pas mourir. Ce ne sont pas vraiment ses mots.
Je suis comme enfermé dans une camionnette, seul avec celle que j'aime. Mais pourtant, quand je regarde à côté de moi je ne vois que la figure de mes parents. Ma famille qui me soutient, ma famille qui s'inquiète. Tout ces problèmes, toute cette souffrance que j'ai causé. Le voulais-je ? Au fond, je crois que oui, juste un peu. C'est triste, mais jamais je ne choisis entre eux et Sid, Valentin et Ramone. Referais-je les même erreurs ? Non, pas les même. Mais je continuerais à trébucher. J'ai beau savoir que ça leur fera du mal de me rattraper, j'apprendrais comme ça.

Je rentre à la maison. Assis sur le siège d'un TGV, j'emporte avec moi les regards rassurés de ma famille et une poignée de médicaments à prendre régulièrement. Je ferme les yeux quelques instants pour mieux sentir la caresse qu'on m'offre. Pourtant, quand j'ouvre les yeux personnes n'est là à m'embrasser. Je me lève, je veux aller au wagon-restau. On s'inquiète, on veut venir avec moi, mais je refuse. Je peux tout de même monter quelques escaliers et marcher quelques mètres. Alors je me mets à cette tâche ingrate seul. Il y a beaucoup de gens dans les couloirs, mais je me sens tellement seul. Je ne suis pas une légende, mais j'ai tout de même l'impression d'être le dernier humain. J'ouvre difficilement les portes, quelques fourmis s'amusent encore à se balader sur ma paume. J'arrive pourtant à ma destination. Il n'y a, là non plus, pas grand monde. J'achète une bière à un prix exorbitant. Ce n'est pas grave me dis-je, je la payerais avec mes orbites.
Je suis abordé par une bande de cosplayers. 7Amis partis en vacances qui reviennent enfin. Je n'y fais pas attention, je n'ai pas la tête à me faire de nouveaux potes plus fréquentables. Ces garçons étaient peut-être chimiques, mais c'était comme de l'héroïne. C'était une réaction mauvaise pour ma santé, mais je me sentais bien quand je la ressentais. Maintenant, tout semble si fade. Même la musique n'a plus la même signification, le même rythme et les mêmes références. J’apprécie presque le silence de ma bourgade quand je suis enfin de retour. Je traîne au lycée, dans le bar, au fin fond du champ sans jamais revoir ceux avec qui j'y allais. Les bureaux qui m'encadrent sont habités par des étudiants que je ne connais pas. Les musiciens qui animent mes soirées ne me connaissent pas. Il n'y a que des vieux sous les arbres, eux et leurs femmes mourantes.
Je m'infiltre dans le garage. Il fait nuit, c'est même bientôt le matin maintenant que j'y pense. Mais le sommeil ne m'attire plus. Les courbes de ma guitare s'empare de mon cœur, et ma raison suit, prisonnière. Je prends le manche, je m'assois par terre et je me place. Je gratte quelques accords, des accords puissants qui va de paire avec une voix déchirée par l'alcool. Voix que je n'ai pas. J'agite mes cheveux sales dans un rond de poussière pendant que mes doigts tapent et vibre sur l'instrument. Je me prends au jeu, je me lève dans ma folie. Je termine le morceau, je casse la guitare sur le sol. Elle se brise en deux comme un morceau de bois. Le corps explose en morceaux alors que le manche reste entre mes mains comme un bras que j'aurais arraché. J'ai réveillé ma sœur, mais oserait-elle s'approcher de moi ?
Non. Elle ne fait qu'ouvrir le garage pour me faire comprendre de partir. Je lance mon sac sur mes épaules, je lui offre mon dernier majeur et je m'enfuis dans la direction de la lune. L'année scolaire a à peine commencé que je suis déjà jeté de chez moi. Et pourtant, au fond de la nuit j'entends toujours ces voix stupides. Ces voix droguées qui susurrent à mon oreille les conneries les plus magistrales. Ces voix ivres qui m'inspirent des envies antisociales et de la violence gratuite. Toutes ces petites nuances qui s'infiltrent en moi, ces conseils que je ne peux plus effacer. Mais à chaque fois que je me retourne, je ne vois pas les fantômes qui m'expliquent ces choses. Je n'entends que :
« -T'sens ça enculé ? C'est l'Vent du Changement. A toi d'le suivre. »
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